Jour de rentrée [Terminé]

Rude matinée pour Wulfric Allaway et sa famille. Ils avaient passé deux heures entières dans le bureau de la directrice de Poudlard, en compagnie d'envoyés du Ministère, pour faire montre de leur bonne foi, baissant la tête en guise de soumission, approuvant à mi-voix, signant sans contester ce qu'on lui demandait, ni même lire. Sa femme et ses trois filles eussent-elles été violées et égorgées devant lui, l'aristocrate n'aurait pu avoir la mine plus défaite. Minerva McGonagall n'avait pourtant pas manqué de tenter de les apaiser par des paroles réconfortantes à l'égard de leur aînée, mais certains des mandataires du gouvernement, en revanche, ne s'étaient pas même donné la peine de dissimuler leur mépris.
La mine abattue, hagards, ils étaient ressortis du bureau plus défaits que jamais. Lady Allaway avait tenté de réconforter son époux en lui posant une main compatissante mais ferme sur l'avant-bras:

- Tout ne vas peut-être pas si mal..., avait-elle murmuré. Ishbel sera bien nourrie et au chaud ici...
- Rôtie à point pour servir de pâture aux loups, avait rétorqué l'intéressé en serrant les dents.

Depuis une semaine qu'ils avaient reçu le hibou d'avertissement du Ministère, Wulfric s'était fait plus distant avec la préférée de ses filles, comme s'il avait voulu se préparer à s'en séparer. Ses yeux d'acier refusaient de rencontrer ceux d'Ishbel, probablement pour lui cacher la détresse et la honte qui l'agitaient à l'idée de devoir se séparer d'elle. Quand on pensait que le destin de leur famille entière reposait sur cette jeune héritière...!
Le quadragénaire releva la tête et inspira profondément, comme pour se redonner une once de courage. Ce qui était fait ne pouvait plus être défait. Ils n'avaient plus le choix; peut-être Catherine avait-elle raison; peut-être, au fond, Ishbel serait-elle plus à l'aise ici, bien nourrie et chauffée, que dans leur lugubre et glacial manoir écossais où en dix-neuf ans leur situation n'avait fait que se dégrader...
Quand soudain, peut-être, une once d'espoir. Flamboyante.

- Miss Nott!

L'intéressée se retourna. Pour la première fois, Wulfric Allaway vit un côté positif au fait d'avoir passé deux heures dans le bureau de la directrice: pendant ces deux heures, il avait pu étudier le trombinoscope des professeurs que sa fille aurait, et repérer notamment celle de métamorphose, dont la famille était bien connue en Grande-Bretagne. Il fallait être prudent, leur situation étant suffisamment précaire dans l'immédiat. Mais peut-être, peut-être qu'avec un grain de chance...?
Suivi de sa famille, il se dirigea vers la jeune femme et se força à sourire en lui tendant la main; curieuse impression sur ce visage marqué par l'inquiétude, aux mèches poivre-et-sel collées sur le front par l'angoisse, aux yeux caves, et dont les rides marquaient des ombres profondes au coin des yeux et sur le front.

- Je vous prie de m'excuser de vous interrompre ainsi. Je suis Wulfric Allaway. Voici Catherine, mon épouse, et... (il se rappela, mais juste à temps, de ne pas regarder son aînée qui depuis une semaine s'efforçait déjà de croiser son regard) Ishbel, ma première fille. Elle entrera à Poudlard ce soir, en première année.

Il marqua une pause. Sur un signe de sa mère, accompagné d'un regard insistant, la future Serpentard marqua une courte révérence de salutation à l'égard de la jeune femme face à elle, qu'elle ne connaissait pas encore. Au fond de lui, le père de famille espérait que le professeur comprendrait d'elle-même qu'ils étaient de noble lignée, sans avoir à prononcer le mot fatidique, qui faisait hurler tant de personnes aujourd'hui. Mais dans tous les cas, leurs vêtements, que l'on devinait sans peine usés ou de seconde main, leurs joues creuses, qui contrastaient avec leur posture raide et leur langage formel laissaient peu de place au doute.

- Nous sortons tout juste du bureau du professeur McGonagall, qui nous a permis de consulter le trombinoscope des professeurs, expliqua-t-il enfin pour justifier le fait qu'il connaisse son nom. Comprenez-vous... Ishbel n'est jamais allée à l'école auparavant, nous nous sommes chargés nous-mêmes de son éducation jusqu'à présent, nous craignons qu'elle ne soit quelque peu... déphasée dans un établissement aussi grand. Je doute que vous soyez étrangère aux quelques... difficultés connues par des gens... tels que vous et moi, aujourd'hui.

Lord Allaway laissa sa phrase en suspens, n'osant aller plus loin. Il venait de s'abaisser, quelques minutes plus tôt, plus bas que terre, pour donner la patte comme un gentil toutou, et en éprouvait d'autant plus de répugnance qu'il lui fallait désormais quêter l'aide d'une personne qui leur était encore une parfaite inconnue.

Jour de Rentrée

La rentrée pour Poudlard n'était jamais évidente : il fallait retrouver ses appartements et ramener à nouveau des affaires pour pouvoir vivre les longues semaines dans l'école.
Elle avait amené avec elle l'essentiel de ce dont elle aurait besoin pour son appartement et son bureau de professeur, avant de s'évertuer à tout ranger les jours précédents la rentrée.
Elle peaufina le nécessaire le jour même, raison de sa présence à Poudlard si tôt dans la journée, alors que les élèves étaient encore loin d'être arrivés. Le Poudlard Express devait, après tout, traverser la quasi-totalité de la Grande Bretagne pour rejoindre la fameuse école de sorcellerie. A croire que depuis le temps ils auraient pu trouver un moyen de transport plus pratique.
Pourquoi pas un avion sorcier ?
Non ? Personne ?
Bon, d'accord, il ne fallait sans doute pas exagéré, la vieille locomotive était très bien aussi pour amener les élèves.

Ceci dit, Aylen finit bien plus tôt que prévu d'installer toutes ses affaires, et elle commença alors à arpenter le château comme pour s'assurer que tout était toujours en place, et que Peeves n'avait pas détruit la moitié des lieux durant l'été Elle devait bien avouer que depuis le temps, elle avait pu retrouver ses marques, ce qui était plutôt normal considérant le nombre d'heures qu'elle passait dans la bibliothèque, même aujourd'hui en tant que professeur.
Finalement elle finit par se retrouver au deuxième étage.
Elle passa avec un sourire devant la porte des toilettes de Mimi Geignard et se pencha pour coller l'oreille contre le battant. Elle pouvait l'entendre pleurer sa solitude, et elle se redressa pour secouer la tête.
Ce fantôme était si... pathétique.
Quelque part la jeune femme se sentait triste pour elle, mais d'une autre part... elle préférait l'ignorer. Après tout, elle ne pouvait plus rien pour elle.

Elle poursuivit alors sa visite, passant devant le bureau de la directrice. Elle ne s'y attarda pas, se dirigeant dans les couloirs de façon presque experte. En tout cas, son pas était assurée et sa posture droite laissait à penser qu'elle savait ce qu'elle faisait. Elle finit par s'arrêter à nouveau devant les fenêtres donnant sur une petite cour intérieur qui bientôt serait sûrement occupée par des élèves.
Un léger sourire vint flotter sur ses lèvres, avant qu'elle n'entende qu'on l'appelait.
Elle fronça les sourcils.
Elle ne connaissait pas cette voix.
Elle se retourna vers la voix masculine, prenant un visage neutre alors qu'elle observait l'homme. Le visage aux traits tirés ne lui était absolument pas familier, ni la femme qui l'accompagnait, et encore moins la petite avec qui il se trouvait. Une future élève, peut-être ? Elle releva les yeux vers l'homme qui avait alors eu le temps de s'approcher et de lui tendre la main en se présentant. Elle la saisit et évalua la force qu'il mit dans sa poignée de main, celle d'Aylen prenant automatiquement une tournure de façon à se trouver au dessus de la sienne.
Wulfric Allaway.
Le nom lui disait définitivement quelque chose, et elle n'écouta que d'une oreille ce qu'il lui disait alors qu'elle allait chercher l'information dans sa mémoire.
Lorsqu'il marqua une pause, elle en profita tout de même pour la marquer d'un « Enchantée. » poli avant que la mémoire lui revienne. Les Allaway, bien sûr. Des sang-pur. Pas aussi connus que les Malfoy ou les Nott – ou même les Zabini pour être honnête – mais tout de même. Ils restaient suffisamment purs pour que son père ait tenu à l'intégrer à la liste des noms qu'elle avait dû apprendre plus jeune.
Pourtant dans ses souvenirs aucun des membres vivants de la famille n'aurait dû être si vieux.
A moins que...
Oh.
Evidemment.

Les joues creusées, l'air nerveux, le dos légèrement courbé, les vêtements qui laissaient à désirer... Il était vrai qu'ils avaient connus la déchéance après la guerre. Leurs idées vieillottes ne les avait pas aidé, il fallait dire. Les deux adultes ne pouvaient s'en prendre qu'à eux-même pour le coup.
Toutefois apparemment ils étaient là pour des raisons bien spécifiques, et en se recentrant sur la conversation, Aylen pu comprendre.
Elle ignora le pré-supposé mensonge – McGonagall n'avait aucune raison de leur montrer quoi que ce soit – et haussa un sourcil.
Si elle comprenait ce qu'elle comprenait, elle n'aimait pas ça.
Toutefois, elle leur offrit le bénéfice du doute.
« Oh, ne vous en faites pas. Je n'étais pas non plus scolarisée avant mon entrée à Poudlard, et je n'ai jamais eu le moindre problème pour suivre les cours, ou même trouver ma place parmi mes camarades. » Le fait d'avoir une sœur jumelle avait certainement aidé à cela, ou plus simplement d'avoir eu des précepteurs. Sans parler de la curiosité presque maladive d'Aylen qui passait son temps à poser des questions dans sa prime jeunesse. Elle poursuivit toutefois tranquillement, leur offrant un sourire rassurant. « Et si vous vous inquiétez qu'elle s'ennuie à cause d'un talent trop important en magie, » elle observa la réaction du père de famille, « ne vous inquiétez pas, Poudlard est un lieu d'apprentissage et de tolérance où votre fille saura s'épanouir. »

Elle appuya à peine sur le mot tolérance pour que le message qu'elle essayait de faire passer soit clair au moins. Elle acceptait de jouer les idiotes et de faire comme si elle n'avait pas compris, mais elle n'accepterait certainement pas qu'ils commencent à lui sortir les habituels idéaux des sang-purs.
Bien sûr, si le message pouvait être clair à ses yeux, il pouvait également passer totalement au dessus de la tête de quelqu'un d'autre.

S'il avait auparavant semblé que le teint de lord Allaway n'aurait pû être plus cireux, il s'avéra bien vite que c'était faux: en entendant les derniers mots de la directrice des Serpentard, le visage du père blêmit encore davantage, faisant ressortir sa barbe mal rasée. Sa femme, elle, se montra plus réactive, et pour éviter de les enfoncer encore plus bas que là où les aléas les avaient désormais réduits, elle s'avança d'un pas en adressant un sourire cordial à celle qu'ils considéreraient désormais comme une traître à son sang.

- Naturellement, cela va sans dire. Ishbel est quelque peu sauvage au premier abord ce qui explique notre inquiétude qui doit vous paraître bien ridicule, mais après tout c'est la première à quitter le cocon familial, il est bien normal de ressentir un léger pincement au coeur pas vrai? Nous vous remercions de vos paroles encourageantes, miss Nott.

Après l'échange de quelques formalités de politesse, où Wulfric alla même à risquer un sourire, qui s'apparentait d'ailleurs plus qu'à une grimace douloureuse qu'autre chose, ils prirent congé de l'enseignante, pour se diriger vers le parc afin de procéder aux adieux.
Chemin faisant, les parents ne pipèrent mot, réfléchissant. Lord Allaway savait pertinemment que son épouse, volubile comme elle savait l'être, leur avait potentiellement sauvé la mise, à sa fille et à lui, et lui en était reconnaissant. Lady Allaway, elle, se prenait à souhaiter qu'Ishbel puisse prendre exemple sur elle en ce qui concernait la faculté à s'adapter à toutes les situations: mais elle était si taciturne, si morose, si caractérielle...! Quant à Ishbel, elle se contentait de donner nerveusement de petites tapes vigoureuses sur la tête d'Hercules, le crapaud niché sur son épaule droite, comme s'il avait eu besoin de réconfort. Au fond, tous trois avaient compris la même chose, qu'ils n'exprimèrent que lorsqu'ils furent à l'extérieur et après s'être assurés d'être à l'abri des regards, non loin de la forêt interdite. Là, pour la première fois, son père s'accroupit devant elle pour se mettre à sa hauteur et la fixa droit dans les yeux:

- Ishbel, commença-t-il en lui prenant la main, sais-tu ce que signifie être traître à son sang?
- C'est quand on renie ses origines de sang pur? répondit l'intéressée d'une voix étonnement grave pour son âge.
- La dame que l'on vient de voir déteste sa famille, et par extension, nous aussi. Elle sera ton professeur de métamorphose au cours de ta scolarité - promets-nous Ishbel, promets-nous de ne jamais, jamais lui faire part de ce que tu penses, même si elle devait être ta directrice de maison. Fais ton travail comme elle te le demande, montre-toi polie, et tout ira bien. Entendu?

Tristement, elle hocha la tête. Puis, dans un brusque élan d'affection trop longtemps contenue, elle se jeta dans les bras de son paternel, qui lui rendit son étreinte.
Les adieux furent brefs, chacun ayant redouté l'instant et, celui-ci arrivé, ne sachant comment s'en dépêtrer. Après lui avoir promis de lui envoyer régulièrement des hiboux, Wulfric et Catherine Allaway disparurent aussi vite qu'ils étaient arrivés, se fondant dans le paysage.
Traînant des pieds, la jeune héritière s'en retourna pensivement vers cette gueule béante aux crocs acérés qui n'attendait que de la dévorer en entraînant sa famille à sa suite, et qu'on appelait Poudlard.