"Je… Excusez-moi ?""Dépressive, Madame Hall. Votre fille est dépressive.""Mais je… je n'comprends pas. Elle… Il n'y a jamais eu aucun problème. C'est une très bonne élève, elle a beaucoup d'amis, elle est heureuse, elle sourit et elle rit tout le temps. Je n'comprends pas. Pourquoi ?"Pourquoi. Alana Hall, ancienne Préfète de la maison Serdaigle, n'arrivait pas à comprendre. Il n'y avait aucune explication logique. Aucune raison valide à la dépression de sa fille -si tant est que le médecin n'était pas en train d'inventer n'importe quoi pour les faire revenir et dépenser leur argent-. Eleni était une adolescente normale, parfaitement normale. Le cliché même de la Poufsouffle au grand coeur. Ce n'était pas rationnel.
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Assise dans la salle d'attente, Eleni se rongeait les ongles. Elle avait déçu sa mère, elle le savait. Ses pires craintes venaient de se confirmer. Sa mère allait sortir du bureau du psy, et lui lancer un regard avant de l'abandonner là, dans la salle d'attente froide aux murs blanc cassé, aux revues scientifiques vieilles de trois ans. Son père ne voudrait plus la regarder en face. Lui qui l'appelait toujours mon petit rayon de soleil, qu'est-ce qu'il allait dire ? Il allait être déçu. Il allait lui en vouloir. Ils allaient lui en vouloir.
Eleni sentit les larmes lui monter aux yeux, et sa respiration se faire plus saccadée, haletante. Elle ferma les yeux, serrant ses paupières avec force, tout en s'enfonçant ses ongles dans sa paume. In. And out. In. And out. In. And out.
Elle ne savait faire que ça de toute façon, murmura la petite voix dans sa tête. Décevoir les gens.
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"… traitement médical."Mais ça n'avait pas de sens.
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Eleni agrippa l'élastique en caoutchouc qu'elle avait au poignet, le faisant claquer contre sa peau à plusieurs reprises, régulant les battements de son coeur comme le médecin le lui avait appris. In. And out. In. And out.
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Le trajet en voiture pour ramener Eleni et sa mère dans leur maison se passa dans le plus grand silence. Ni l'une ni l'autre n'avait allumé la radio. Alana n'avait jamais été très mélomane, au contraire de sa fille et de son époux, grands adorateurs de ces vieux groupes de rock qui avaient façonné le monde. Il n'était pas rare de les trouver tous deux chantant à tue-tête dans la cuisine, une spatule en guise de micro, et des baguettes chinoises frappant sur une casserole pour mimer une batterie.
Le coeur d'Alana se serra un peu. Elle ne comprenait pas. Était-ce une phase ? Une nouvelle tendance ? Une addiction aux médicaments ? Était-il arrivé quelque chose à sa fille dont elle ne lui avait jamais parlé ? Quelqu'un lui avait-il fait du mal ?
L'esprit de l'ancienne Serdaigle fonctionnait à toute allure, analysant les données, cherchant dans sa mémoire les faits. Elle voulait juste comprendre où elle avait fait une erreur. Où elle n'avait pas porté secours à sa fille, où elle l'avait laissé tomber.
Eleni, elle, jouait nerveusement avec la manche de son sweat-shirt. Le silence de sa mère lui pesait, sur le coeur et sur l'estomac, et elle sentait le début d'une migraine venir lui tirailler le cerveau. Elle aurait voulu ouvrir la bouche pour s'excuser, s'excuser de ne pas être normale, de ne pas être capable d'être heureuse comme les gens normaux. Elle voulait lui dire que ce n'était pas de sa faute, qu'il n'y avait rien eu, qu'elle n'avait jamais manqué de rien, que ses parents n'avaient pas failli à leur tâche… Que c'était juste elle qui clochait.
Elle n'osait rien dire, cependant. Jouant silencieusement avec la manche de son sweat-shirt, la gorge nouée et une boule dans l'estomac.
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Le dîner ce soir là fut si superficiel et hypocrite qu'Eleni avait envie de hurler. Il était plus que clair que ses parents ne savaient pas comment réagir. Leurs sourires forcés lui donnaient envie de pleurer, et leurs pathétiques tentatives pour relancer la conversation tombaient à l'eau tristement comme des hameçons dans un lac sans poisson.
Théodoric Hall ne savait pas quoi penser. Quand il posait les yeux sur sa fille, il n'arrivait pas à croire que la jeune fille renfermée et sombre, jouant tristement avec ses spaghettis dans l'assiette, était la même personne que l'enfant rieuse et joueuse qu'il avait toujours connu. Que l'adolescente rieuse et joueuse qu'il avait toujours connu. Il avait l'impression d'être face à une étrangère. Qu'avait-il pu louper ? Qu'est-ce qui lui avait échappé ? Sa fille et lui avaient toujours été très proches, complices même. Il se revoyait encore porter sa fille sur ses épaules pour l'aider à attraper les fleurs sur les arbres quand le printemps les faisait fleurir. Il revoyait le jour où la magie d'Eleni s'était déclarée, quand elle l'avait réveillé à six heures du matin à grands cris et qu'il l'avait trouvé flottant à deux mètres du sol dans le salon, parce qu'elle était montée sur la chaise pour attraper la télécommande, et avait paniqué lorsqu'elle s'était sentie tomber.
Disparue l'adolescente qui discutait avec les sirènes sur les plages de la Grèce, pendant qu'il prenait des notes pour son prochain livre sur les Créatures Magiques. Disparue l'enfant qui le suppliait avec ses grands yeux bleus pour avoir un chiot pour son cinquième anniversaire.
Eleni semblait juste… vide.
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Les médicaments aidèrent, un peu. Pas toujours. Le début de sa sixième année fut particulièrement rude. Le jour d'Halloween, Eleni passa la journée dans son lit, les rideaux fermés pour la couper du monde, tête enfouie sur son oreiller. Elle pleura à s'en donner mal à la tête, avant de fixer le plafond avec des yeux vides jusqu'à ce que le jour se lève.
Quelques mois plus tard, juste alors que les vacances de Noël commençait, ses camarades de chambre la surprirent avec sa petite amie. Ses parents cessèrent de compter ses crises de panique après la dixième. Être surprise au lit avec une fille, c'était pas pareil qu'avoir un crush sur Aylen Nott en seconde année.
À la rentrée cependant, elles se contentèrent de lui sourire et de lui demander combien de centimètres de neige elle avait eu dans son jardin. L'une d'elles se plaignit même de la taille de ses seins, qu'elle avait toujours trouvée acceptable jusqu'à ce qu'elle voit ceux d'Eleni. Les mois qui suivirent lui firent même penser, à tort, qu'elle était sortie de sa dépression.
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Eleni rencontra Olivia durant sa septième année. Enfin, "rencontrer", vous voyez ce que je veux dire : il était impossible de ne pas connaître les autres septième années arrivés à ce stade. La Serpentard était la définition même de l'assurance. Le regard fier, la tête haute, la poitrine bombée, et un sourire pourpre carnassier qui se dessinait sur ses lèvres pleines. Liv parlait peu, aisément compensé par Eleni, qui pouvait parler pour deux, voire trois, quand la situation se présentait. Liv était vibrante, incandescente, vive et insaisissable. Liv était aussi la meilleure mauvaise influence au monde. Elles se retrouvaient la nuit dans la tour d'astronomie, où Liv lui parlait des étoiles et des mythes d'amants maudits qui s'aimaient à en être jalousés des dieux.
Liv adorait surtout la plaquer contre le mur entre deux classes, à l'abri des regards indiscrets, et glisser ses mains sous le chemisier de la Poufsouffle, défaire sa cravate, avide de baisers mordants. Ça lui faisait tourner la tête, à Eleni. Du moins, jusqu'au jour où elles se firent surprendre par une première année qui s'était trompée de couloir. Liv trouva ça absolument hilarant, Eleni quand à elle avait plutôt peur d'avoir traumatisé la gamine à vie.
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Liv et Eleni partirent explorer le monde l'année suivante. Liv n'avait pas envie de se retrouver enfermée dans le monde des adultes, préférant voir ce que le monde avait à offrir, et Eleni la suivit. Elle ne savait pas ce qu'elle voulait faire de sa vie de toute manière. Elles commencèrent par l'Asie, explorant le Japon et le Tibet, passant une nuit dans la caverne d'un Yéti durant une tempête de neige. Elles restèrent une semaine dans le château de Bran, dans les Carpates, chez un vieil ami de famille d'Olivia -un certain Vlad. Eleni resta clouée dans leur chambre d'hôtel pendant cinq jours en Allemagne, incapable de mettre le nez dehors, fatiguée et morose.
Elles s'enivrèrent en Italie et dans le Sud de la France, avant de transplanter jusqu'à la Nouvelle-Orléans où elles restèrent un mois, Liv fascinée par le vaudou. Elles visitèrent la bibliothèque d'Alexandrie, engloutie par les eaux.
Leur relation s'essouffla alors qu'elles se reposaient à Hawaï, et prit fin en Australie, où Liv décida de rester, tandis qu'Eleni retourna en Angleterre, s'enrôlant à l'Université de Sheffield, pour finir par obtenir un master moldu de Documentation.
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Minerva McGonagall était parfaitement au courant de la condition médicale d'Eleni. Elle était au courant de la médication de la jeune femme, et du fait que parfois, Eleni était incapable de se lever.
Elle lui offrit le poste malgré cela, au grand étonnement d'Eleni.
Poudlard était bien différent sans Liv, sans Carly, Susan, Felicia et Belladonna. Ses appartements étaient étrangement vides, elle qui était habituée à vivre avec d'autres personnes. Les visages qu'elle croisait ne lui disait plus rien, ou si peu. Elle revoyait parfois les grands yeux étonnés, ou apeurés des premières année quand des septième années venait travailler à la bibliothèque. D'anciens camarades, des élèves qu'elle avait connu si jeunes, et qui aujourd'hui entamaient leur dernière année.
C'était étrange, de revenir à Poudlard.
Pas désagréable. Juste étrange.