Le lundi était la meilleure journée pour Ishbel, puisqu'elle n'avait que des matières qu'elle appréciait. Une journée dense, incontestablement, mais riche : elle commençait avec les potions, qui étaient sa deuxième matière préférée juste après la botanique (car après tout, connaître les plantes ne suffisait pas, encore fallait-il savoir dans quel onguent les utiliser et comment en extraire l'essence de la meilleure façon possible !), puis s'ensuivaient deux heures de vol avec les Poufsouffles, où à défaut d'être une sportive hors pair, elle s'en sortait suffisamment pour ne pas se ridiculiser, pour terminer en apothéose avec la botanique. Elle s'était prise d'une certaine affection pour le professeur Londubat, et celui-ci, bien qu'il semblât se soucier d'être aussi impartial que possible avec ses élèves, semblait bien le lui rendre, puisqu'il l'autorisait à amener Hercules en classe - il glissait parfois à son encontre quelques remarques à propos du crapaud qu'il avait lui-même à son âge, Trévor, et la tristesse qu'il avait ressentie lorsque la bestiole était passée dans l'au-delà.

Il était quinze heures trente et la nuit commençait déjà à tomber, mais la jeune Écossaise n'avait pas oublié qu'elle devait passer à la crique. Un Serpentard plus âgé qu'elle lui avait en effet révélé qu'elle pourrait y trouver de l'houttuynie cordée, une plante qui manquait à sa collection et qui était renommée pour ses propriétés anti-inflammatoires et son efficacité contre les morsures de serpent...
Néanmoins, comme elle ne savait pas vraiment si elle pourrait en trouver sur le rivage caillouteux et humide de la crique ou s'il lui faudrait aller chercher plus profondément dans le lac glacé à cette période, elle s'était emparée - avec l'accord du directeur des Gryffondors - d'un fagot de bois et d'une corde pour se fabriquer un radeau de fortune au cas où il aurait été nécessaire de chercher plus avant. Des serres jusqu'à la crique, le chemin était long, et c'est une première année échevelée et haletante, un crapaud imperturbable juché sur l'épaule droite, qui arriva sur la plage caillouteuse qui occupait les fondations du château.

Elle sortit de sa sacoche à fond magique une petite gourde d'eau qu'elle eût tôt fait de vider, s'essuya les lèvres d'une revers de manche, et se mit tout de suite au travail, entreprenant de nouer les branches les unes aux autres pour en faire une palissade aussi étanche que possible. Dans le feu de son action, les sourcils froncés par la concentration et l'effort, elle n'entendit pas quelqu'un d'autre arriver, et sursauta violemment lorsqu'on lui adressa la parole, faisant tomber son animal au passage, qui en coassa d'indignation. Avec quelques mots d'excuse, elle le replaça sur son perchoir avant de lever la tête vers l'intrus. Robbie Newton. Le Serdaigle lui avait dit qu'il la rejoindrait à seize heures par hibou ; ce détail lui était totalement sorti de l'esprit.

- Bonjour Robbie, souffla-t-elle en repoussant une mèche collée à son front par la sueur. Elle n'était probablement pas très présentable avec ses cheveux attachés en queue de cheval qui laissaient à découvert ses oreilles décollées, ses joues rosies par l'effort et eraflées par la terre et ses gants de botanique, mais enfin, ce n'était pas un rendez-vous galant, elle connaissait à peine le Serdaigle. D'ailleurs, s'il ne lui avait pas envoyé de message, sans doute ne lui aurait-elle jamais adressé le moindre mot.

Elle ne répondit que vaguement par un "mmh-mmh" lorsque son interlocuteur lui demanda comment elle allait, sans même daigner retourner la question. Eût-elle été présente, sa mère se serait étouffée sur place, mais avec toute la bienséance propre à une dame de la haute.

"Ces morceaux de bois que tu amènes ; ça va servir pour trouver ta plante ?"
- Plus ou moins. Nous verrons. La corde était désormais passée autour de tous les rondins. Il fallait tirer pour les serrer au maximum. Elle posa son pied droit sur le radeau de fortune et, se redressant autant qu'elle le pouvait, tira dessus de toutes ses forces en grimaçant.
- En fait, reprit-elle, entre deux respirations saccadées, l'houttuynie est une plante qui pousse dans l'obscurité, en milieu semi-aquatique à aquatique. Il nous faudra donc chercher dans la crique, mais aussi dans l'eau si d'ici là nous n'avons rien trouvé. Il ne devrait pas être nécessaire d'aller très profondément mais rassure-moi quand même, au cas où... tu sais nager ?

Ce disant, elle se recula et le détailla d'un oeil critique, les mains sur les hanches, semblant vraiment le regarder pour la première fois. A onze ans, Robbie n'était pas vraiment ce qu'Ishbel aurait qualifié de "beau": il était plus petit qu'elle, avait un visage long et blanchâtre, à la peau flasque, qui indiquait clairement que c'était une créature qui vivait plus à l'intérieur qu'à l'extérieur, impression d'ailleurs confirmée par les énormes binoculaires qui avaient trouvé leur place sur un nez pourtant mignon, telles deux loupes qui grossissaient et rapprochaient ses yeux l'un de l'autre, lui donnant une apparence peu sagace bien qu'érudite.
Mais enfin, le garçon avait compris le principal de son message : inutile de venir en robe de sorcier, ils allaient se salir, et c'était ce qui comptait. Elle approuva donc d'un petit hochement de tête satisfait et un léger sourire se dessina sur ses lèvres.

- Bon, eh bien si tu veux m'aider... tu sais à quoi ressemble l'houttuynie ?

- Je n'ai pas dit le contraire, répondit-elle d'un ton détaché, indifférente à son apparente sensibilité quand il lui répliqua, piqué au vif, qu'il savait nager. Mais comme tu l'as toi-même si bien souligné, il y a un calamar géant, en conséquence de quoi les eaux de ce lac ne sont pas sans quelque danger.

Elle se garda bien de lui dire que le calamar était aussi affectueux qu'un caniche nain avide de caresses, et qu'il adorait les toasts beurrés. C'était un secret bien gardé entre Serpentard.
Délaissant le radeau de fortune sur la berge, elle se rapprocha pour voir son dessin, qu'elle étudia avec sévérité, gardant le silence pendant quelques instants. Puis elle hocha la tête et releva ses yeux acier vers lui.

- C'est bien ça. Tu t'occupes de la plage, je vais voir dans l'eau.

Pas de contestation possible avec l'Écossaise, il fallait que les choses avancent. Le Serdaigle n'avait pas l'air excessivement débrouillard, alors même si il savait nager, elle préférait ne pas prendre de risques, d'autant plus qu'elle ne savait pas si le radeau tiendrait bon. Et être responsable de la mort d'un de ses camarades n'augurait rien de bon pour l'avenir de son père, autant rester sur ses gardes.
Ignorant sa dernière remarques (une lampe de quoi ?), elle s'éloigna de lui avec un signe de tête et s'installa sur le radeau en ramenant ses jambes sous elle, avant de le lancer à l'eau. Oh, pas très loin, elle aurait pu en descendre et toucher le fond sans problème, mais l'eau était gelée à cette période-ci et tomber dedans pouvait s'avérer dangereux. Elle ne tenait pas outre mesure à attraper une pneumonie. Elle lança un petit "Lumos" hésitant et se mit à parcourir les eaux troubles de sa baguette avec minutie.

Le clapotis de l'eau sur le rivage faisait tanguer son radeau de fortune et rendait sa position plus qu'instable. En réalité, à cette période-ci de l'année, c'était une chance que le lac soit sous sa forme liquide, surtout à cet endroit ; à d'autres, la glace s'était bien formée sur le rivage, et lui avait même permis de nombreuses fois de chausser ses patins pour y exécuter quelques figures avec une joie innocente.
Baguette ou pas, dans les remous noirs de l'étendue aqueuse, on n'y voyait mie. Relevant sa manche droite, elle y plongea sa main, et émit un petit hoquet de surprise en sentant la morsure gelée qui, de ses doigts, se répandit dans toute ses connexions nerveuses, jusqu'aux doigts de pied. Elle manqua de tomber, mais se retint à temps. Le coeur battant à tout rompre sous l'effet de l'adrénaline, elle se retourna vers son camarade.

- Tu as trouvé quelque chose ?

Même si elle ne l'entendait pas de là où il était, elle pouvait sentir son exaspération. Ishbel grimaça. Pourquoi avait-il fallu qu'il vienne ? La recherche de plantes était une de ses activités préférées, elle avait attendu ça toute la semaine en trépignant d'impatience, et Robbie venait tout gâcher avec ses geignements...! Ce n'était pourtant pas elle qui l'avait forcé à venir, elle aurait pensé qu'il aurait fait montre de davantage de zèle.
Inutile de prolonger le supplice plus longtemps, de toute façon. Le Serdaigle ne prenait manifestement aucun plaisir à sa compagnie, et il l'indifférait totalement, comme tout le monde d'ailleurs. Autant rester chacun de son côté, et vaquer chacun aux occupations qu'il leur plairaient.

- Il se fait tard, lui cria-t-elle en lui adressant un signe de la main. Tu ferais mieux de rentrer et de te mettre au chaud !