Je tirai sur le col de ma chemise, lâchant une grimace avant de remuer sur mon siège. Pourquoi n’avais-je pas enfilé quelque chose de plus confortable ? Ce pantalon était trop serré et mes jambes n’allaient pas tarder à ne plus donner signe de vie. Je maudissais mon patron qui m’avait forcé à me rendre à ce rendez-vous en costume, il en avait plus qu’assez de me voir débarquer en touriste dans les bureaux. Ce n’était pas assez professionnel à son goût, et la peur que mes interviewés prennent la fuite n’arrêtait pas de le hanter. Décidément, depuis le temps que je travaillais là-bas… Il exagérait. J’avais, tout de même, eu l’intelligence de retirer ma veste et ma cravate, remontant mes manches et ouvrant les premiers boutons, histoire d’offrir une nouvelle brise à mon corps torturé. Il allait me le payer.

Je jetai un coup d’œil au petit dossier disposé devant moi, un peu trop près de mon verre d’alcool. Ma main prit l’initiative de l’écarter de là avant de l’ouvrir. Mes yeux parcoururent rapidement les quelques lignes que l’on m’avait rédigé. Mon nouveau projet pour les mois à venir : Interroger des professeurs. Un petit rire s’échappa d’entre mes lèvres alors que je secouai la tête, laissant une gorgée glisser contre mon palais. Pourquoi m’avait-on donné cette tâche sérieusement ? Etait-ce une mauvaise plaisanterie suite à mon passé d’élève martyrisé par ses aînés ? Blague de mauvais goût. Enfin-là n’était pas le sujet. Poudlard, l’école la plus prestigieuse du Royaume-Uni, je n’y avais jamais mis les pieds. L’envie ne m’avait jamais pris de pénétrer dans ce château. Caitlin en parlait de temps en temps, mais je n’étais pas du genre à étendre la conversation là-dessus.

La liste des professeurs à interroger était fièrement dressée devant moi. Je fus étonné par certains noms, et me forçai à apprendre à les prononcer, je ne voulais pas me ridiculiser devant eux. Mes sourcils se froncèrent face à un nom qui me paraissait trop familier. Où l’avais-je déjà vu ou entendu ? Je me grattai la barbe et me laissant aller contre le dossier, mes jambes s’étirant sous la table. Je remarquai le regard d’un client sur moi, et je lui servis mon plus beau sourire forcé. Je me sentais épié. Le bar des trois Balais. Un repère pour les élèves de l’Ecole, heureusement pour moi, il était désert de tous ces mômes.

Finissant tranquillement mon verre, je jetai un coup d’œil à l’heure avant de faire tourner mon stylo entre mes doigts, écrivant quelques brèves idées de question. J’entendis la porte s’ouvrir et ma tête se redressa instinctivement. Je sentis la prise de mes doigts sur mon stylo se durcir alors qu’une sueur froide s’amusa à glisser le long de mon dos. Non, il devait y avoir erreur. Cela remontait peut-être à des années, mais je n’avais en rien oublié cette nuit en sa compagnie. Ces cheveux bruns, cette silhouette fine. Non, il n’y avait pas erreur sur la personne.

Je fis tout mon possible pour garder un air professionnel, mais l’éclat dans mon regard devait me trahir. La blague était peut-être un peu trop longue, j’attendais la chute avec impatience. Avais-je le droit de me glisser sous les tables pour rejoindre le plus rapidement possible la sortie ? Je ne pouvais pas lui poser des questions ! C’était gênant ! Surtout après… ça. Nous n’avions jamais reparlé par la suite ! Merde ! Qui m’avait fait cette blague ? Que je lui fasse avaler sa langue ? J’étais fichu.

« Miss Featherstonhaugh, par ici. » Un petit tremblot dans la voix, mais rien de bien suspect. Me redressant sur ma chaise, je n’avais plus qu’à prier pour que les questions gênantes soient évitées.

Bon, mes prières avaient dû se perdre en chemin si j’en jugeais par les questions que me posait la brune. Mon dieu, en plus elle souriait ! L’amusement se lisait sur ses traits alors que je cherchais à disparaître de ce lieu. Sérieusement, je ne pouvais pas lui rappeler notre unique et seul moment ensemble… Si ? Elle allait sûrement partir en courant avant que je n’aie le temps de me justifier. Bon, me calmer d’abord et ensuite répondre. Je déglutis difficilement en me redressant de tout mon long, mon dos craquant. J’étais tendu comme jamais, elle avait su me mettre mal à l’aise en moins de temps qu’il fallait pour le dire. Je croisais les mains sur la table, mon talon frappant frénétiquement le sol au rythme de mon stress grimpant. Il fallait que j’arrête. Elle allait vraiment se poser des questions.

« Eh bien. » Je passais ma langue sur mes lèvres en quête d’une réponse assez large pour que le sujet soit évité. « Disons que je vous ai rencontré une fois. Vous étiez mannequin à l’époque si je ne me trompe pas. J’étais stagiaire, pas assez important pour se souvenir je suppose. » Un sourire aussi naturel qu’il pouvait l’être éclaira mon visage alors que je laissais mes épaules se détendre légèrement. Ma chemise était sur le point de craquer sous toute cette tension. Calme mon gars, calme. « Et je m’appelle Carl Mercier. C’est français… » dis-je avant de me rendre compte de ma bêtise. « Je pense que ça s’entend à l’accent. » Un rire bref s’échappa de ma gorge alors que j’ouvris le dossier devant moi. Les questions dansaient devant mes yeux. Bordel. Ca promettait d’être laborieux.

« Je vous avoue que les questions déjà préparées ne me plaisent pas. » Je passais une main dans mes boucles brunes en contemplant mon verre vide. Quel impoli je faisais ! Je lui lançais un regard presque désolé, me penchant légèrement en avant pour lui demander « Souhaitez-vous quelque chose à boire ? Je suis désolée de ne pas y avoir pensé plus tôt. » Ce n’était pas moi. Je ne me reconnaissais plus. Depuis quand cherchais-je à rendre une interview agréable ? Enfin, elle l’était toujours en ma présence. Non je ne me vantais pas. Mais là, être poli à ce point, c’était presque effrayant. De quoi me poser pas mal de questions. Il s’agissait peut-être de la gêne que je ressentais en sa présence ? Je ne saurais dire, mais il fallait que je me reprenne avant de péter les plombs. Tout allait bien se passer, pas la peine de se mettre dans tous ses états.

Mes sourcils s’envolèrent vers mon front illustrant la surprise que provoquait sa réponse.  Qu’entendait-elle par-là ? J’espérais très franchement qu’elle ne pensait pas que je voulusse d’elle dans mon lit ce soir. C’était de l’histoire ancienne, un petit dérapage rien de plus. Et avais-je la tête d’un homme séducteur ? Non, il ne fallait pas exagérer. J’avais une soudaine envie de partir de ce bar pour rejoindre mon logis. Je n’étais pas venu ici pour me faire insulter de la sorte. Je me comportais professionnellement, je voulais seulement que tout se passe bien et que tout se passe rapidement. Hors de question que je fasse tarder les questions. Pas avec ce qu’elle venait de me sortir. « Il s’agit bien d’une interview. Je ne recherche rien de plus. Je sais être professionnel, merci. » répondis-je d’un ton presque cassant. C’était bien une première ça, il fallait que je le raconte aux gars ça, ils riraient bien.

Je me redressais sur mon siège et fit signe au barman de m’apporter un verre d’eau, mieux valait que j’arrête sur l’alcool. Histoire de rester calme si elle me ressortait un autre commentaire dans ce genre-là. Je baissai mon regard vers la chemise blanche qui recouvrait mon torse. Elle était si petite que ça ? J’avais encore pris trop de muscles ? Eh ! Mais qu’est-ce que je faisais ? Ce n’était pas le sujet ! « Mhm Journaliste en effet. Et excusez-moi pour ce costume, mon boss a décidé de se monter sévère. » lâchai-je sur un ton plus léger.

J’attrapais mon crayon et appuyai mon coude sur la table, remerciant –d’un geste de main- le barman. Le carnet soigneusement posé devant moi, j’étais prêt à commencer. Je lançai un regard au dossier posé un peu plus loin et l’ouvrit brièvement pour me saisir de la liste de questions. Bien. Je pris une profonde inspiration et commençais. « Poudlard possède une réputation des plus prestigieuses désormais. Il paraît que le niveau y est très élevé. Vous êtes professeure de métamorphose si je ne me trompe pas. » Bref regard vers elle. « Pourquoi cette reconversion en professeure ? Erreur de parcours ? Ou besoin de changer d’air ? » Je n’improvisais rien, les questions étaient bien les mêmes que celles inscrites sur le bout de papier.

Je grattai légèrement ma barbe avant de boire une gorgée d’eau, la pointe de mon crayon tapotait le carnet. Je la regardais désormais, attendant à ce qu’elle répond à mes questions. Si elle me sortait que c’était trop personnel ou que c’était moi qui avait inventé ces mots, ma patience allait foutre le camp. J’avais voulu être gentil, mais j’avoue que son commentaire m’avait bien refroidi. Faire des remarques aussi grotesques me mettaient hors de moi, comment pouvait-elle juger sans me connaître ? Ce n’était pas comme si on avait pris le temps de fumer une cigarette après notre instant à deux.