Les dossiers s’empilaient en masse sur son bureau et Tara ne savait plus où donner de la tête. On criait son prénom dans tous les sens, des lettres s’amusaient à lui foncer dans le crâne et son café venait de se renverser sur son téléphone. Non franchement, ce n’était pas une très bonne journée pour elle. Ses cheveux étaient réunis difficilement en une natte très rapidement faite, ses lunettes glissaient sur son nez et le crayon qu’elle mordillait n’allait pas tarder à se rompre. On ne lui avait jamais mis autant la pression depuis qu’elle avait commencé à travailler pour le Ministère.

Le voleur d’œuvres moldu n’avait toujours pas été attrapé et les indices restaient toujours aussi maigres. De plus, il avait la fâcheuse manie de laisser des preuves d’une existence magique lors de ses vols. Tara était donc obligée de se rendre sur place pour réparer les dégâts. Son patron ne supportait pas que l’affaire traîne, et redoublait d’insultes pour faire travailler son employée. La brunette allait finir par péter un plomb. Ce n’était pas son boulot de jouer la détective ! Elle effaçait la mémoire des gens ! Elle n’était pas Sherlock !

Et si ce n’était que ça ! Sa mère n’arrêtait pas de lui rappeler qu’elle devait tout faire pour passer du temps avec son fiancé. Comme si elle n’avait que ça à faire. Les deux jeunes gens étaient tout aussi gênés de se rencontrer pour jouer les amoureux. Il était bien évident qu’ils n’allaient pas se marier en se faisant tirer par l’oreille par leur famille respective. On ne leur laissait pas le choix, on organisait des rendez-vous pour eux. Franchement, Tara aurait tout donné pour balancer sa mère dans un lac. Elle lui ficherait la paix comme ça. Heureusement, Finn lui avait laissé du temps et de l’espace, ne voulant pas se faire haïr par la londonienne.

Son stylo frappait frénétiquement le coin de son bureau alors que son regard fatigué parcourait les longues lignes du rapport qui s’éternisait sur son bureau. Bordel que ce n’était pas intéressant. Son attention se porta plutôt sur les photos sur les murs de son office. Un sourire tranquille étira ses lèvres lorsqu’elle vit le sourire de Seonaid sur l’une d’elle. Un souvenir d’Espagne. L’Espagne. Rah non ! Elle se prit la tête dans les mains. Le baiser. Merde. Est-ce que quelque chose pouvait être normal et joyeux dans sa vie ? Elle poussa un grognement mécontent et se laissa aller contre le dossier de son siège.

« Les gars ! Crowley a ses règles. » Son collègue se prit la boulette de papier de sa vie dans la tête alors que quelques rires gras résonnèrent. N’en pouvant plus, elle glissa sa baguette dans sa poche et attrapa sa veste en cuir pour quitter les bureaux. Elle avait besoin d’une pause et vite. Une fois dehors, elle respira goulument l’air frais de la ville et se glissa dans la foule de travailleurs. Il fallait qu’elle passe un coup de fil.

Quelques longues minutes plus tard, elle eut la chance de reconnaître la crinière de jais de son amie. Pressant le pas, elle laissa un large sourire étirer ses lèvres alors qu’elle s’approchait à pas de loups. Bethany. Sa meilleure amie. Et ex-petite amie, mais c’était un détail. Ca lui faisait un bien fou de la revoir ! Se décidant joueuse, elle posa ses mains sur les yeux de la brune. « Bouh » lui glissa-t-elle à l’oreille.

Un large sourire amusé étira ses lèvres en entendant la protestation de la brune. Il fallait avouer qu’elle adorait l’embêter quand l’occasion se présentait. Ses mains quittèrent son visage, la plaisanterie avait assez durée. A peine avait-elle libérée sa prisonnière que cette dernière se précipita dans ses bras pour une étreinte qu’elle lui rendit sans gêne. Bethany lui avait manqué depuis tout ce temps, elle s’en voulait de ne pas avoir plus de temps à lui accorder. Elle était complètement dépassée par son boulot et ses problèmes de famille. Tara ne voulait pas l’emmerder avec ça, et puis, elle n’était pas sûre qu’il s’agissait d’une bonne idée de se confier à propos de ça.

« Désolée Beth, mais tu sais ce que c’est le Ministère ! Ça t’exploite jusqu’à que mort s’en suive ! » Elle avait des horaires de dingue en ce moment, c’était à peine si elle avait le temps de manger le midi. Elle soupira avec elle avant de lui rendre son sourire. Un sourcil s’arque sur son front lorsqu’elle remarqua le regard de son amie sur elle. Bien sûr, par politesse, la remarque fut retenue. Quelques souvenirs de leurs années à Poudlard lui revinrent en mémoire. Certains commentaires de son ex petite-amie fusèrent dans son esprit et elle étouffa un rire contre sa main. Ce n’était décidément pas le moment.

« J’aime ta bonne mémoire. » s’exclama-t-elle en prenant son bras pour s’aventurer dans la rue bondée. Un geste qui lui était familier désormais, malgré leur rupture et leur période de froid, elles avaient su rester proches pour son plus grand plaisir. Tara s’était attachée à Bethany, plus qu’elle ne le pensait, mais comme toujours, elle ne se posait plus de questions à son sujet. « Disons que je suis un peu à bout. Ma mère… Je te jure ! J’ai des envies de la pousser dans les escaliers. » Quelques passants tournèrent un regard horrifié vers la jeune femme. Oui bon, éviter de dire ça à voix haute dans la rue.

Il leur fallut quelques minutes avant d’arriver à destination. Tara demanda la table qu’elle prenait habituellement et invita son amie à s’asseoir. « Nous allons prendre un chocolat chaud et un thé blanc s’il vous plaît. » Et le serveur repartit aussitôt. Tara se tourna vers Bethany, en soupirant, sa bague de fiançailles brillait à son doigt. « Bon je suis passée du statut Finn est à un abruti à nous sommes tous les deux maudits par les Dieux. Il ne veut pas de ce mariage, mais nos parents ne veulent rien entendre. Le meurtre n’est toujours pas autorisé hein ? »

Tara fit une moue adorable pour se faire pardonner de son effroyable oubli. Cela faisait plus de deux mois qu’elle ne lui avait rien commandé de la sorte, comment devait-elle se rappeler de tout ? Quelques vilains souvenirs s’engouffrèrent dans son esprit. Après tout, elle avait passé tellement de temps avec elle auparavant que cette boisson aurait dû devenir une habitude dans ses commandes. Mais qu’est-ce qu’elle racontait là ? Elle remit une mèche de cheveux derrière son oreille, reprit son sérieux et planta son regard dans celui noisette de son amie.

Elle l’écouta jusqu’au bout, elle lâcha tout de même un rire quand Bethany fut prise d’une envie d’imiter les bourgeois d’Hollywood. Secouant doucement la tête, un sourire toujours aux lèvres, elle se permit de jeter un coup d’œil aux couples de clients qui les accompagnaient. Il y avait toujours les mêmes habitués que quelques années plus tôt. C’était mignon, mais étrangement gênant. Après tout, si elle se souvenait d’eux. Ils devaient se souvenir d’elles. « On ne peut pas ! Comment te dire, nos parents respectifs nous aident à tenir. Tu sais combien ça coûte un appartement en plein centre de Londres ? Et avec mon salaire, je suis bonne pour vivre dans un village paumé d’Angleterre ! »

Tara regrettait amèrement de n’avoir rien fait pour se séparer de cette dépendance financière qu’avait instauré sa mère.  Elle était complètement bloquée. Et Fenningan était dans cette même impasse. Autant dire qu’ils étaient tous les deux foutus s’ils s’opposaient à leurs parents. « Certes. Mais je pense que ma mère a assez vécu. Elle pourrait me foutre la paix et mourir serait son plus beau cadeau. » Elle pensait ce qu’elle disait. D’accord ça pouvait être horrible, mais tout de même, elle lui faisait vivre un véritable enfer ! « Puis excuse-moi mais les gens riches aiment tuer pour en avoir plus ! »

Elle remercia le serveur d’un aimable sourire et trempa ses lèvres dans le brûlant breuvage. Hm. Sucré comme il fallait, c’était parfait. Un rire s’échappa de sa gorge en voyant l’air content de son amie. Son cœur se gonfla lorsqu’elle comprit que Bethany n’avait pas changé. Toujours là pour elle, même dans les moments les plus difficiles. Elle se souvint de ce moment dans le fauteuil en Espagne et ses mains se resserrèrent sur sa tasse. Ne pas penser à ça.

« Eh bien oui ! » Elle afficha un large sourire heureux « Je suis allée en Espagne pour quelques jours de congé. Je n’étais pas seule, j’ai embarqué une amie avec moi. Autant te dire que je n’ai pas pris une seule couleur. Je vais finir par croire que le soleil ne veut pas de moi. » Elle but une nouvelle gorgée « Et toi ? De ton côté ? »

La brunette esquissa un doux sourire en la voyant parler ainsi, à l’encourager, à l’aider. Elle se revoyait sur les bancs de Poudlard à stresser comme une dingue parce qu’elle ne comprenait pas son devoir et que sa petite amie venait la rassurer. Elle avait toujours le mot pour plaire. Ça n’avait pas changé. Tara eut une pensée pour Caelia et pinça les lèvres. Quelle mauvaise amie elle faisait ! Voilà des semaines qu’elle n’avait pas prises de ses nouvelles, il fallait rapidement qu’elle retrouve son hibou pour lui envoyer une lettre. Histoire de ne pas aggraver la chose.

Un rire traversa ses lèvres dans un son cristallin tandis qu’elle savourait le parfait accent espagnol de Bethany. Le sien était tout simplement à mourir de rire. Impossible pour elle de rouler les r ou de retenir le moindre mot. Elle préférait s’exprimer en anglais pour ne pas paraître plus ridicule encore aux yeux des commerçants et des restaurateurs. Tara la félicita d’un clin d’œil avant de sentir un frisson lui parcourir le bras quand les doigts fins de son interlocutrice se posèrent sur les siens. Le contraste de couleurs était évident. « Quelle surprise, je suis un cadavre à côté de toi ! »

Une fois la main retirée, elle se permit de boire une nouvelle gorgée de thé avant de croiser les jambes. Elle se recoiffa rapidement puis laissa la parole à Bethany. Chose qu’elle n’aurait sûrement pas dû faire. Les premières phrases furent tranquilles, mais lorsqu’elle se rendit compte que le flot de paroles continuait, elle comprit… Ses yeux se forcèrent à rester grand ouverts alors que ses mains se resserraient sur sa tasse, au point de la briser. Ne pas perdre sa concentration, elle ne voulait pas vexer son amie, non elle ne le ferait pas.

Enfin, Bethany crut se rendre enfin compte qu’elle monopolisait la parole, ce qui fit beaucoup sourire la brunette. « Oh tu sais, je finis par avoir l’habitude. » Elle se souvenait des histoires interminables lorsqu’elles étaient élèves. Elle avait pris l’habitude de la faire taire d’un baiser, mais cette solution n’était plus adéquate désormais. Ne sachant pas quoi ajouter d’autres, elle continua de boire son thé en se disant qu’elle ferait mieux d’arrêter de penser au passé.

Sa tasse crut sa fin proche suite aux questions de son amie. Mais, avec une grande inspiration et un sourire irréprochable, elle répondit. « Oh avec Seònaid. Une amie de longue date, enfin… Quelques longs mois je dirais. Et je ne pense pas que tu puisses la connaître, elle a trente ans. » Connaissant la curiosité de Bethany, elle sortit son téléphone portable de sa poche et lui montra une photo. Il s’agissait d’elle et de Seònaid en maillots de bain près de la piscine. Tara était tout simplement resplendissante, ne quittant pas son sourire heureux alors que celui de la blonde était plus discret.

Bien sûr que son prénom ne lui disait rien, elles n’avaient jamais vu la blonde pendant leurs années Poudlard. C’était à peine si elle l’avait cru quand Seònaid lui avait avoué d’avoir été l’une des élèves de cette immense école. Tara avait dû s’excuser dans la minute, bien trop gênée pour faire comme si de rien n’était. Cela avait été une bien étrange façon de débuter une amitié.

Un sourire amusé étira ses lèvres. « Oui, elles étaient plutôt intéressantes. » Mieux valait pour elle qu’elle épargne les détails. Non franchement, elle ne voulait pas relancer le débat, elle était fatiguée de parler de ses problèmes. Et puis les gens devaient en avoir tellement marre de l’entendre geindre à peu près toutes les heures. Tara pouvait faire l’effort d’aller bien pour une après-midi au moins.

D’un geste rapide, le téléphone fut rangé dans sa poche et la dernière gorgée de thé fut avalée. Dieu que cela faisait du bien à son palais. Elle n’en pouvait plus du café froid du bureau. Quelqu’un devait bien faire exprès de le rater, on ne pouvait pas être aussi idiot à ce point. Bref, il fallait revenir à la conversation actuelle. Louper quelques phrases dans le discours de Beth, revenait à être perdue pour le reste de l’heure à venir.

Paris. Tara soupira de soulagement intérieurement, elle n’était pas en retard. « Paris vraiment ? Tu as réussi à te débrouiller toute seule dans ce monde hostile ? » Elle prit un air choqué, posant une main juste devant sa bouche grande ouverte. « Je n’en reviens pas ! » Un rire plus qu’hilare s’échappa de sa gorge. Certains curieux regards se tournèrent dans sa direction et la brunette se fit violence pour se taire. Bethany allait finir par bouder si elle continuait à se moquer de la sorte. Vite, il fallait qu’elle se reprenne.

Après une légère petite toux, elle était de nouveau sérieuse. « Bien sûr que la France me plairait. Mais je déteste Paris. Désolée, mais elle et moi, nous ne sommes pas compatibles. » Elle cacha un sourire attendri dans sa tasse vide avant de se redresser. « Non tu ne t’emballes pas. C’est mignon et courageux d’avoir des projets ! Et l’idée de repartir avec Caelia me plaît beaucoup je dois l’avouer. » Mais Paris restait un problème. Et Finn aussi. Il fallait vraiment qu’elle se débarrasse de ça.

Mon dieu cet accent français était épouvantable, il fallait vraiment qu’elle lui donne des cours pour limiter les dégâts. Comment avait-elle fait pour se faire comprendre auprès des gens francophones. Sûrement en parlant anglais, il n’y avait pas d’autres issues possibles. Elle fit mine de ne rien entendre lorsqu’elle aborda le sujet de l’espagnol. D’accord, il s’agissait d’une langue connue pour être sexy et facile à apprendre, mais tout ceci était un mensonge. Un immonde mensonge. Tara n’avait jamais autant eu de difficultés dans sa vie à apprendre quelque chose. Des années d’entraînements avant de –finalement- jeter l’éponge. Elle en avait eu ras le bol de tous ces verbes irréguliers et de ces conjugaisons à dormir debout, sans parler de la prononciation.

Tara retint un ricanement en la voyant si gênée pour si peu, mais se retint de la taquiner davantage. Elle ne voulait pas que son amie prenne la fuite, ça serait plus qu’étrange. « Mais si c’est mignon ! » La brunette n’avait pas pu s’en empêcher. Ce n’était pas sa faute si elle était si facile à piéger ! « Oui le sud de la France me plaît beaucoup. Les paysages changent de ceux que j’ai l’habitude de voir. » Certes, elle était allée en Espagne pour son congé, mais ce n’était pas vraiment la même chose. Elles avaient passé leur temps à visiter Madrid et à se prélasser au bord de la piscine. Là, Tara était prête à jouer à l’aventurière.

La brunette posa un regard sur son téléphone, curieuse de savoir quelle heure l’écran affichait. Elle n’avait pas vraiment d’horaire précise pour retourner s’ennuyer devant son bureau, mais il fallait qu’elle se montre raisonnable. Son travail était trop gros pour qu’elle puisse prendre son temps. Une grimace enlaidit ses traits. Cela faisait des lustres qu’elle n’avait pas converser tranquillement avec son amie et voilà qu’elle était obligée de faire vite pour ne pas se faire engueuler par son patron. Des baffes se perdaient. « Je ne vais pas avoir la chance de traîner avec toi, désolée. Tu verrais la pile de dossiers sur mon bureau…. Et ça ne diminue pas. »