La presse a longtemps parlé des Mangemorts déchus, de ces familles de sang-pur qui s’étaient retrouvées sans le sous du jour en lendemain. Mais seuls les grands noms étaient apparus sur les gros titres, les bafouant à jamais, devenant véritables sujets de haine et de moquerie. Et pourtant, certains de ces anciens partisans du Seigneur des Ténèbres avaient su disparaître à temps, s’échapper de ce monde sorcier pour être confondu avec le reste de la population. Ils n’avaient aucun mérite, aucune gloire, aucune reconnaissance. Ils ne s’étaient pas battus jusqu’au bout, leur raison et leur peur étaient arrivées à une conclusion qui ne laissait aucune place au doute ; La victoire ne serait jamais leur.
« Vous avez abandonné le Seigneur des Ténèbres. Vous êtes retournés dans votre pays natal au lieu de vous battre jusqu’au bout. Vous vous retranchez dans ce manoir en attendant que tout se passe, sagement protégés par la Mafia. » La gifle fut violente et résonna dans la pièce. La petite-fille ne baissa pas le regard pour autant et adressa une attention toute hautaine à son père.
« Vous êtes des lâches. » Nouveau coup, mais aucun son de douleur ne vint perturber le lourd silence. Une main empoigna la crinière corbeau pour la faire lever de sa chaise et la plaquer contre le mur du salon. Les tableaux tremblèrent sous la force de l’action. Des prunelles d’un bleu sombre affrontèrent l’émeraude de la petite insolente.
« Nous n’avons pas abandonné le Seigneur des Ténèbres. Nous avons préservé nos vies pour son grand retour. Et si tu oses encore dire que ce bâtard de gamin à lunettes a mis fin à ses jours, je te fous aux cachots. J’ai été clair ? » Les cheveux furent lâchés, mais la fillette lui cracha au visage. On sortit une baguette d’une poche et des liens invisibles s’enroulèrent, comme des vipères, autour de son corps frêle.
« Aux cachots. » Les petites mains s’agrippèrent aux barreaux rouillés, les pieds se mirent sur leurs pointes alors que les jambes tremblaient, peureuses. Son regard embrassa le paysage qui s’offrait à elle. Un magnifique jardin aux haies immenses et aux fleurs exotiques. Une île, ils résidaient sur une île. La famille Croce avait acheté un domaine sur un lac en Italie, l’île de la Madre, et y avait expulsé tout touriste. Ils étaient désormais seuls et en sécurité, les bandits moldus étaient de leurs côtés, au plus grand désespoir de la fillette. Jamais elle n’avait eu la chance de mettre un pied sur la terre ferme, de découvrir le monde. Seul ce jardin lui était familier. Elle connaissait chaque pelouse, chaque arbre, chaque paon qui se baladait librement sur les graviers. Et les cachots, personne ne pouvait aussi bien les connaître qu’elle.
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L’Ecole de Magie ne durait pas toute l’année, on ne lui donnait pas la chance de pouvoir y résider pendant les vacances. On lui retirait toute chance de bonheur, de renouveau, de normalité. La valise se posa lourdement au sol alors que son regard rencontrait le bateau de pêche de ses parents. Ses poings se serrèrent et son cœur pesa lourd dans sa poitrine, elle ravala un sanglot. Son esprit lui hurlait de fuir alors qu’il en était encore temps. Une main se posa sur son épaule et tout rêve de liberté lui fut arraché.
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La baguette était tendue devant elle, ses doigts se cramponnaient à ce manche. Le bois grinçait sous cette poigne et la magie refusait de s’y glisser. Les dents n’arrêtaient pas de s’entrechoquer alors que l’estomac était sur le point de céder. Le corps était droit, crispé, tous les muscles étaient tendus. Des centaines de pensées voyageaient, se combattaient alors que des éclairs crépitaient dans sa poitrine.
« Tue ce chiot. » Elle baissa son regard vers le petit animal au centre de la pelouse. Une goutte de sueur taquina sa nuque, la faisant douloureusement frissonner.
« Fais-le. » La voix de sa mère était si froide, elle la heurtait. Ses yeux se fermèrent un instant alors que son bras tremblait. Le chiot poussa une longue plainte.
« Liana. Je vais compter jusqu’à trois. Fais-le ! Prononce-le sort impardonnable. » Le temps sembla se figer et un éclair vert trancha l’air. L’animal se jeta au sol. Le paon derrière lui perdit aussitôt la vie.
« Tu me déçois. Tu nous déçois. Remets le chiot dans sa cage. Je m’en vais informer ton père de ton échec cuisant. » Sa tête se baissa, sa baguette était au sol. Son regard ne quittait plus l’objet, il le détaillait avec une telle haine que le bois semblait se fissurer. Le chiot gambada dans sa direction pour se réfugier dans ses bras. Elle le prit avec une délicatesse qui ne ressemblait en rien à sa famille et l’embrasse sur le sommet du crâne. Un dernier regard vers cette baguette avant de quitter les lieux. La magie rendait l’Homme mauvais.
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La lune caressait les draps en soie dans un geste doux. Le silence était reposant et ne laissait rien le faire chuter de son trône. La silhouette endormie remuait à peine dans son lit, ses cheveux étaient éparpillées en une auréole des plus sombres, sa peau blanche contrastait avec le corbeau de sa crinière. Une petite boule de poils dormait au pied de son lit. Le chiot était désormais un fier boxer qui lui était fidèle. Son seul et véritable ami.
La porte s’ouvrit dans un grincement, un visage se détailla dans la lumière argentée. Une baguette fut brandie en direction du lit et les pas se firent souples sur la moquette. Mais cela ne suffit pas à garder le sommeil de l’animal. Ce dernier se réveilla d’un bond et aboya. La jeune fille se redressa dans ses couvertures dans un cri effrayé. Le chien fut assommé et une main se plaqua sur les délicates lèvres rosées. Le regard émeraude croisa l’immensité bleue. Comme une vieille habitude, on la saisit par les cheveux pour la traîner dans le couloir. Ses hurlements ne dérangeaient en rien son père. Le rictus qui dessinait sa bouche miroitait à la lueur des torches.
On la balança dans une pièce qui lui était tout bonnement inconnue. Son regard apeuré s’attarda sur les lames et autres objets de torture qui ornaient les murs. Sa voix se fit plus fragile et surtout plus forte. Un maléfice la fit taire et la porte se referma.
« Tu refuses de coopérer. Tu vas comprendre, ma fille, à quel point la force peut faire changer d’avis. »|||
L’eau du bain était glaciale, elle mordait la peau nue sans aucune retenue. La chair de poule dansait sur cet épiderme blafard. Cette statue de marbre n’avait pas bougé depuis plus d’une heure déjà. L’eau teintée de rouge donnait un aspect morbide. Les plaies ouvertes enlaidissaient son dos, douloureux souvenirs de ce cuir qui avait fouetté son dos. Mais l’attention n’était plus tournée vers cette douleur. Non. Le regard émeraude, désormais aussi froid et dur que la roche, s’était posé sur le tatouage, cette marque des Ténèbres. L’encre avait été forcée dans sa peau.
Les gouttes d’eau résonnaient désagréablement aux creux de ses oreilles. Ses cheveux mouillés pendaient sales contre ses tempes, créant un rideau entre elle et le monde. Ses doigts tâtonnèrent le bord de la baignoire pour se saisir de sa baguette. Ils se refermèrent difficilement autour du manche de bois noir. La pointe fut tournée vers son poignet et elle retint sa respiration.
« Diffindo ». La peau se déchira en une ligne parfaite qui défigurait cet odieux tatouage. Son cri ne put être étouffé. Elle n’irait pas plus loin, elle n’en avait pas le courage. Elle see recroquevilla sur elle-même, ses épaules secouées de sanglots.
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« Gancio, tu es prêt ? » Le chien leva la tête dans sa direction et elle le gratifia d’une caresse. Le sac sur son dos et sa baguette en main, elle jeta un dernier coup d’œil au calendrier sur son mur. Un bref sourire étira son visage fatigué et elle s’autorisa un soupir. Elle était enfin majeure, libre de faire ce qu’elle voulait. Mais avant toute chose, avant toute idée de liberté, il fallait qu’elle s’évade de cette île, de cette prison. Son plan avait été longuement élaboré, chaque petit détail comptait. Une seule erreur et elle rejoignait les cachots.
« On y va. » Ses pas étaient feutrés et son allure lente. Sa silhouette se dessinait contre les murs, courbée. La lueur qui émanait de sa baguette était si discrète qu’elle peinait à marcher correctement. Son regard évitait soigneusement les portraits effrayants de ses ancêtres. Gancio la suivait sans un bruit, la queue entre les jambes, il ressentait la même angoisse que sa maîtresse. L’entrée du Manoir était enfin à sa portée quand un bruit de verre brisé la fit sursauter. Elle fit volte-face et tomba nez à nez avec sa mère. Cette dernière était enlaidie par les années et par la rage.
« Comment oses-tu… » Sa fille fut plus rapide et le sortilège trancha l’air. Le corps paralysé de la Mangemort s’effondra sur le sol glacé. Le père était déjà au sommet des escaliers.
« Liana ! Reviens ici tout de suite ! » Elle le toisa et ouvrit la porte à la volée
« Vafencullo ! »Sa course était laborieuse, la blessure à son genou n’avait pas eu le temps de cicatriser convenablement. Elle boitait et grinçait des dents. Son chien restait à ses côtés, poussant des plaintes effrayées lorsque le sortilège d’un vert flamboyant le manquait de peu. Liana ne pouvait plus faire demi-tour, son destin était tout tracé. D’un geste rapide, elle se saisit d’un balai qu’elle avait soigneusement dissimulé lors d’une de ses nombreuses balades. Le portail. Il fallait qu’elle ouvre le portail. Elle braya tous les sortilèges qu’elle connaissait. Le métal finit par exploser, lui donnant libre accès au lac. Gancio avait du mal à suivre désormais, les paons lui couraient après, ensorcelés. Il aboya pour alerter sa maîtresse.
Tout allait trop vite. Sa main agrippa le pelage de l’animal alors qu’elle criait son nom. La voix de son père résonnait dans le jardin, comme une lourde et mortelle menace. Mais elle n’en avait que faire. Elle bondit dans le vide, ne prenant pas la peine d’emprunter les escaliers.
Ses yeux se fermèrent.
« Vole… Vole… Vole ! » |||
« T’as pas de diplôme ? Aucune qualification ? Fous le camp de ma boutique ! » Geste grossier avant qu’on ne lui claqua la porte au nez. Un soupir s’échappa de sa gorge alors qu’elle adressait un regard désolé à son fidèle compagnon.
« Désolée Gancio, tu vas encore devoir manger des rats. » Elle rejoignit le petit abri au coin d’une ruelle. Sa main se tendit d’elle-même vers les passants. La clope aux lèvres, elle adressa un regard haineux vers le ciel. Foutu monde de Moldu.
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Pré-au-Lard. Elle lâcha son sac et ouvrit grand les bras, avalant goulument de grandes bouffées d’air. Un sourire ravi étira ses lèvres gercées et elle prit son chien dans ses bras. Deux longues années dans les rues avaient causé de nombreuses séquelles sur son corps, mon son moral restait toujours le même. Il y avait toujours un moyen de survivre. Hélas, elle était plus touchée que ce qu’elle le pensait. Se sevrer n’allait pas être simple, elle le savait.
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« Je te laisse une chance d’accord ? Une seule. » Le patron la pointa du doigt alors qu’elle hochait vivement la tête.
« Tu sembles être agréable avec les clients, et surtout très bavarde. C’est ce qui me plaît chez toi. » Elle ne dit rien et le laissa la guider derrière le bar.
« Interdiction de servir de l’alcool aux étudiants de Poudlard compris ? » Il se tourna vers elle
« Bienvenue chez nous. » |||
« Ce n’est pas parce que tu es habillé en Moldu que je ne te reconnais pas Henry. Pas d’alcool pour les élèves ! » Un rire lui vint alors qu’elle examinait la mine frustrée du jeune homme. Elle garda son plateau contre elle, prenant la commande des plus sages. L’un d’eux fit un commentaire sur le tatouage difficilement reconnaissable sous ses bracelets. Elle l’ignora superbement.
« Alors Henry… » Ses mots moururent sur ses lèvres quand la porte s’ouvrit sur un homme tout de noir vêtu. Instinctivement, elle porta sa main à sa baguette, mais des doigts se verrouillèrent sur son poignet.
« Pas de magie ici Croce ! Sept ans que tu es là et tu n’imprimes toujours pas ! » Son regard ne quittait pas l’inconnu avant que celui-ci ne sorte un rapport du Ministère. La peur se délogea de son ventre. Neuf ans qu’elle n’était plus sur cette île, neuf ans qu’ils pouvaient débarquer à tout instant pour l’emprisonner de nouveau dans leurs serres.