Tout avait commencé ce vendredi, lorsque Roman avait entendu un de ses élèves parler de la librairie récemment ouverte à Pré-au-Lard. Des dires de son jeune informateur Serpentard, les livres y étaient si intéressants et les fauteuils si confortables qu’on pouvait y passer la journée à lire… Même les cartons qui n’étaient pas encore déballés ne gênaient pas, à ce qu’il avait dit. Autant dire que Roman était extrêmement tenté par cette description. Il ne manquerait plus que le thé !
Il avait justement un après-midi de congé et il était étonnamment à jour dans son travail… ce qui était suspicieux et il faudrait qu’il se penche sérieusement sur son planning pour vérifier qu’il n’avait rien oublié, genre un devoir à corriger, un élève en retenue… mais pour une fois, il avait envie de prendre un peu l’air, avant qu’il ne fasse vraiment trop froid et qu’il ne passe en mode hibernation, à rechigner à sortir de son trou.
Il se couvrit donc correctement et sortit de l’école en fin d’après-midi, heureux de ne pas être de surveillance des couloirs ce soir-là. Chantonnant un petit air qui lui flottait dans la tête depuis qu’il l’avait fait écouter à ses Cinquièmes années pour les récompenser d’avoir bien avancé leur travail de la semaine, il s’engagea sur le chemin qui menait à Pré-au-Lard. A cette heure de la journée, alors que les élèves étaient encore en cours, tout était étrangement calme. Il n’en avait tellement pas l’habitude qu’il s’arrêta un moment et leva les yeux vers le ciel pour écouter le calme et le bruit des oiseaux. Puis il reprit sa marche d’un pas tranquille.
Il arriva au village un peu plus tard, et s’engagea dans la Grand Rue. Passant devant Gaichiffon, il s’arrêta pour saluer Caelia, mais en regardant par la vitrine, il s’aperçut qu’elle était occupée avec au moins trois clientes. Il décida donc de repasser plus tard et continua sa promenade. Ses pas le conduisirent donc à la nouvelle librairie. Il s’arrêta devant, et examina l’enseigne et la devanture. L’Atelier, librairie et antiquités. Il s’imaginait déjà le propriétaire comme un vieil homme aux petites lunettes et aux yeux brillants.
Roman poussa la porte de l’Atelier, relevant la tête lorsqu’une petite clochette tinta dans la boutique. Une voix venant du fond l’informa que le propriétaire arrivait dans une minute. Hochant la tête, un peu bêtement car personne ne pouvait le voir, il fit quelques pas à l’intérieur. C’était clairement une boutique comme il les aimait : des livres et des objets curieux un peu partout, des fauteuils confortables et une ambiance calme… Il contourna un tas de cartons et commença à parcourir les rayonnages en silence. Il huma l’air et sourit. Ah, cette odeur de vieux livres… Eleni adorerait l’endroit, il fallait absolument qu’il lui en parle !
Lorsqu’il atteignit le rayonnage consacré à la culture et à l’histoire, il se mit à examiner plus sérieusement les titres. Il pouvait peut-être y trouver son livre de chevet du moment ! Il releva la tête et son regard s’arrêta sur un volume consacré aux luthiers autrichiens du XVIIIe siècle. Il étouffa un petit bruit de gorge enthousiaste et leva le bras pour prendre le livre. Fronça les sourcils. Se dressa sur la pointe des pieds et réessaya de l’attraper. Ça lui rappellait l’époque de Poudlard, quand il était trop petit pour atteindre certains livres et que ce Serdaigle plus âgé venait trop souvent les prendre pour lui, lui flanquant une peur monstre par la même occasion !
Mais cette fois-ci, il y arriverait tout seul ! Tirant un peu la langue pour mieux se concentrer, Roman s’étira autant que possible. Ses doigts arrivaient à frôler la tranche du livre… Il y était presque...
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Depuis sa première arrivée en Écosse, il y a 19 ans de ça, Teal avait toujours adoré marcher à travers la lande. Il aimait longer le lac et suivre des yeux les vols de canard qui descendaient vers le sud, au petit matin. Il aimait sentir la froideur du vent piquer son visage et lui faire froncer le nez. Il aimait ce sentiment de mélancolie lorsque, au-dessus de Pré-au-Lard, l’ombre de Poudlard sortait de la brume.
Debout, face à la vue, le sorcier sourit. Malgré tous ses voyages, malgré toutes les merveilles qu’il avait vues, malgré toutes les raisons, commerciales, parentales, un seul sentiment, une seule raison l’avait fait revenir ici. Cette sensation d’être chez soi dans un endroit qui ne nous appartient pas. Étrange mais pourtant familier. Teal Mackenzie était amoureux de Poudlard. Contempler l’école lui laissait cette sensation, douce et chaude, comme un baiser partagé avec un ancien amour. Un ‘avait été’ qui ne se transformerait plus jamais en un ‘sera’ pour lui. Il frissonna, se traitant silencieusement de romantique de pacotille.
L’écho de l’horloge de l’école arriva à ses oreilles. Il baissa les yeux vers son poignet. Déjà seize heures et demi. Son aller-retour depuis Londres avait pris bien plus de temps que prévu.
Le commerçant soupira et entama sa descente. Il n’avait pas ouvert la boutique aujourd’hui et n’avait toujours pas fini de déballer les cartons de certains livres. Mais il avait réussi à livrer sa dernière commande de particulier dans les temps. Tout était une question de perspective. Cependant, prendre soin de sa boutique et de sa clientèle physique devrait commencer à être un réflexe, consultant n’était désormais plus son seul métier !
Il trotta d’un pas leste jusqu’à l’entrée de Pré-au-Lard, regrettant un instant de pas s’être plus couvert. Il traversa la ville au pas de courses, ses grandes jambes parcourant le pavé avec vigueur. Un passage éclair en ville pour acheter de quoi éventuellement manger, et le voilà, trépignant de froid sur le pas de sa porte. Il sortit sa baguette, et d’un mouvement de poignet, déverrouilla le loquet.
La chaleur de l’Atelier l’accueillit, embaumant de cette odeur si familière. Teal referma la porte,et posa ses courses sur le comptoir, qu’il contourna. Un sort réflexe pour lancer la bouilloire, suspendre sa veste au portemanteau de l’atelier et il s’appuya contre le mur en souriant. La journée allait être calme, il le sentait.
Le sorcier sortit de la poche de sa veste le thé qu’il avait acheté plus tôt sur le chemin de traverse et s’en prépara une tasse en chantonnant, encore distrait par ses pensées de plus tôt. Il avait tellement hâte que Leander arrive pour qu’il puisse lui montrer toutes les beautés des alentours…Se promener avec lui ce matin, après sa livraison, lui avait fait du bien. Le chant de la bouilloire le tira de sa contemplation. Non. Il s’agissait définitivement de la porte du magasin. Et ces courses qui étaient encore sur le comptoir… Teal grimaça face à la preuve évidente de son propre manque de professionnalisme.
“J’arrive dans une minute!”” lança-t-il en versant l’eau sur son thé. Il reposa la bouilloire, attrapa délicatement sa tasse pleine et se dirigea vers la boutique. La tasse sur le comptoir, le sac de nourriture rangé vite fait dans l’atelier et il se dirigea de son pas silencieux à travers la boutique, à la recherche de son client inconnu.
Un soupir d’effort sur sa droite attira son attention. Teal s’avança un peu et, apercevant son client, fut arrêté par une sensation brusque de déjà-vu.
Un jeune homme brun, sur la pointe des pieds, luttant en silence pour attraper un ouvrage placé en hauteur. Un sourire se dessina sur son visage et c’est presque malgré lui qu’il avança, aussi silencieux qu’un chat se mettre derrière son invité. Il tendit, dans un mouvement mécanique et habituel, le bras au-dessus de sa tête et attrapa le livre tant désiré. Un ouvrage de Georg Stainer sur les luthiers du XVIIIème siècle.
Encore un déjà vu.
Il pencha la tête, cherchant à croiser le regard de ce lecteur avide de savoir au point de ne pas faire attention à ne pas se renverser l’étagère de livres dessus. Son regard s’illumina. Un sourire fendit doucement ses lèvres, amusé. Il connaissait ce regard. Comme avec Caelia, il n’y a pas si longtemps.
Ce n’était pas un déjà-vu.
C’était un fantôme du passé qui ressurgissait. Le fantôme d’un première année paré de jaune et de marron, entouré de livres. Le fantôme d’une histoire familiale qu’il avait tenue secrète jusqu’à présent.
C’est dans un murmure que penché au-dessus de lui, le livre toujours à la main, il le salua.
A l’époque de Poudlard, quand Roman était encore un adolescent aux genoux trop cagneux et aux gestes rendus maladroits par une puberté cruelle, il avait longtemps été petit. Il avait grandi sur le tard, d’un seul coup, jusqu’à atteindre une taille moyenne tout à fait convenable à ses yeux. Ce qui impliquait donc que sa taille d’avant n’était pas convenable… Il avait longtemps essuyé les moqueries des plus grands qui lui demandaient s’il s’était perdu sur le chemin pour l’école primaire, suffisamment pour avoir développé une résistance à ce genre de remarques.
Mais malgré toutes les fois où cette scène avait eu lieu, il n’avait jamais réussi à s’habituer à une apparition soudaine dans son dos, à un bras qui se levait au dessus de sa tête pour venir attraper le livre qu’il cherchait à atteindre… Il avait eu affaire à un véritable ninja qui avait entraîné ses nerfs d’adolescent à résister tant bien que mal au stress, puis qui repartait tranquillement, le plus souvent sans même avoir dit un mot. Selwyn, qui était pourtant un de ses meilleurs amis de l’époque, trouvait ça hilarant, le traître, mais il avait toujours eu un humour un peu particulier...
Revenant, au présent, cette fois encore, malgré les années écoulées, Roman se sentit sursauter comme un lapin terrifié. Il releva vivement la tête, avec un instant l’impression d’être revenu à l’adolescence… une impression qui se renforça lorsqu’il croisa le regard du nouveau venu si furtif. Il aurait reconnu cette couleur d’yeux entre mille, pour les avoir si souvent vus de près, dans cette situation exacte. Aucun doute n’était possible sur l’identité du propriétaire de la boutique. Son ninja du jour était le même qu’à l’époque… A la seule exception que là où Roman lui-même avait atteint péniblement une taille moyenne, l’autre avait apparemment décidé de ne jamais arrêter de grandir. C’en aurait presque été vexant, s’il n’avait pas été si occupé à calmer son rythme cardiaque.
Il rebaissa le bras, d’un geste empreint d’une habitude qu’il pensait oubliée, sans pour autant quitter Teal des yeux. Le passé et le présent se mélangèrent en une seconde déstabilisante. A l’époque, il aurait baissé le nez et rougi si fort qu’il l’aurait senti et que ça l’aurait fait encore plus rougir, l’enfermant dans un cercle vicieux et écarlate des plus désagréables. Mais, à défaut d’avoir pris quarante centimètres, comme l’autre homme en donnait l’impression, il avait pris un peu d’assurance et ne se décomposa pas. Il releva un poil le menton, et se fendit d’un haussement de sourcils amusé.
“Ai-je le droit de répondre “Bonjour, Monsieur Mackenzie”, sachant que vous ne m’avez jamais officiellement donné votre nom ?” demanda-t-il innocemment.
Il avait effectivement obtenu ce nom par des moyens détournés, autrement dit par Selwyn la commère Serdaigle et Leolin le Gryffondor populaire, qui connaissaient beaucoup plus de monde que lui. Et qui n’avaient surtout pas peur de leur parler. Ça aidait, généralement. Heureusement que cette timidité maladive était un peu passée, ça aurait été autrement plus compliqué pour postuler à Poudlard ! Et pour prouver sa sociabilité toute nouvelle, il se fendit d’un sourire.
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Un sourire se dessina sur le visage de Teal, qui se transforma rapidement en un rire incontrôlable. Le jeune adolescent avait clairement gagné en assurance en grandissant, mais il se demandait si le sarcasme avait toujours était présent. Il rebaissa son bras et tendit l’épais volume à Roman.
“Je vous répondrais que le nom est affiché sur l’enseigne, mais vu que ce n’est pas le cas, ça serait de la mauvaise foi de ma part.” répondit-il en s’éloignant d’un pas après que Roman ait récupéré le livre.
Il ne put s’empêcher de détourner la tête, un peu gêné. Il est vrai que leurs rencontres précédentes pouvaient définitivement s'apparenter à de la filature. A l’époque, Teal avait développer une certaine fascination pour le jeune Roman Nightingale. C’était le nom de famille de sa mère Daphné et il ne pouvait s’empêcher de se demander s’il ne s’agissait là que d’une simple coïncidence. Il avait depuis eu la réponse à sa question mais n’avait jamais osé aborder le sujet avec Roman. Ou quelque sujet que ce soit, pour être tout à fait honnête. Il n’avait jamais su si c’était par timidité, simple maladresse ou bien par jeu. Probablement un peu des trois...Aujourd’hui était une chance, le jour de réparer cette petite erreur d’adolescence.
Il poussa un petit soupir de détermination et, lentement, plongea ses yeux dans ceux de Roman. Une sensation étrange le traversa. L’impression d’avoir enfin ouvert une porte qui était resté timidement entrouverte jusqu’à présent. Un sourire spontané, presque ingénue, se dessina à nouveau sur ses lèvres, alors qu’il tendait sa grande main vers Roman.
“Bonjour, je m’appelle Teal Mackenzie. Bienvenue dans ma librairie.”
Sa voix, habituellement basse et mélodieuse, résonna comme un sortilège lancé à travers la librairie.
En cet instant, par cette phrase prononcée après cette rencontre inopinée, le sorcier sentit qu’il venait enfin de se sentir à Pré-au-Lard comme chez lui.
Sa librairie.
Il s’éclaircit la gorge, encore un peu sous le coup d’une émotion si naïve, et lâchant la main de son invité, montra la librairie et ses mille trésors.
Roman récupéra le livre que lui tendait Teal, un peu surpris par le rire qu’avait déclenché sa petite remarque. Et bien, s’il avait su qu’il lui suffisait de parler distinctement pour avoir droit à une réponse humaine (et non pas ninja, comprenons-nous bien : il ne pensait nullement que Teal n’était pas humain, encore qu’il avait certainement un peu de sang félin dans les veines, pour arriver à se déplacer aussi silencieusement)... bref, s’il avait su, il aurait certainement essayé d’aligner trois mots compréhensibles plus tôt ! Il serra le livre contre son torse en hochant la tête.
“Mauvaise foi, peut-être, mais au moins vous évitez la mégalomanie” rétorqua-t-il avec un petit sourire. “Je n’ai jamais compris l’intérêt d’étaler son propre nom sur une enseigne… à moins que vous ne vendiez votre propre personne, mais là, on entre dans un registre bien particulier...”
Il rougit et baissa le nez en réalisant ce qu’il sous-entendait. C’était tout lui, ça… Roman Nightingale, le spécialiste des pieds dans le plat : rencontrer une personne plus ou moins inconnue et sous-entendre qu’elle s’adonnait à la prostitution. C’était évidemment le moyen idéal de lier connaissance avec les gens. Pas étonnant que sa vie sociale soit aussi réduite !
Il se gratta la nuque et releva les yeux au moment où Teal cherchait son regard. Interloqué par la lueur de détermination qu’il pouvait lire dans le regard de son interlocuteur, et encore plus par le sourire si amical qui se dessinait sur son visage, il réagit instinctivement en prenant la main qui lui était tendue, la serrant dans la sienne.
“Enchanté, Mr Mackenzie, je suis Roman Nightingale… et je ne sous-entendais pas du tout que vous faisiez dans la prostitution !” répondit-il avec un empressement maladroit.
C’était dommage que Teal ait rénové. Roman aurait pu trouver un petit trou de souris où se cacher quelques siècles, le temps pour sa gêne de se dissiper. Ou son fou rire. Il était assez partagé entre une bonne grosse honte et une envie de rire à ses propres bêtises. Il se mordit la langue mais ses yeux pétillaient d’amusement tandis qu’il agitait le livre que Teal lui avait attrapé plus tôt. Toussotant pour retrouver son calme, il expliqua au propriétaire des lieux les raisons de sa visite.
“A vrai dire, j’étais juste venu par curiosité voir votre boutique, c’est un de mes élèves qui m’en a fait la publicité… à raison, d’ailleurs. C’est une bien belle librairie que vous avez là...”
En parlant, il tourna un peu sur lui-même, le livre de nouveau plaqué contre son torse, dans une posture très familière pour qui l’avait connu à l’adolescence. Il avait beau ne plus être un enfant, il restait ébahi par les merveilles que renfermaient les bibliothèques et autres librairies… Après avoir parcouru les lieux d’un regard admiratif, il fit de nouveau face à Teal, lui laissant lire tout le bien qu’il pensait de son magasin.
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Teal avait longtemps imaginé à quoi pouvait ressembler sa première discussion avec Roman.
Il s’était imaginé, ridicule, brandissant l’étendard Nightingale avec une voix de tenor grandiloquante au milieu de la Grande Salle, entamant une déclaration solennelle sur les liens familiaux.
Il avait fantasmé, froid et concis, lui annoncer, après que sa mère lui ait confirmé, que son sauveur et rédempteur était arrivé en Sa personne et que désormais, il n’était plus seul.
Il avait visualisé, la première fois qu’il l’avait approché, une embrassade lors de chaleureuse retrouvailles, comme si tout n’était qu’un rêve et que les liens familiaux se reconnaissaient instinctivement.
Il avait 16 ans à l’époque. Il se sentait seul. Il se sentait incompris. Et il avait ressenti l’arrivée de Roman à Poudlard comme l’arrivée, enfin, de quelqu’un qui le comprendrait. Uniquement parce qu’ils étaient reliés par le nom.
C’est avec le souvenir de cette naiveté à l’esprit que Teal écoutait Roman insulter involontairement sa dignité commerçante. Jamais, il n’aurait imaginé que cette rencontre serait exactement ce qu’elle devait être. Un peu gauche, maladroite. Drôle. Pleine de questionnements, de révélations et de doutes. Ce n’était pas une rencontre entre cousins séparés par le destin. C’était une rencontre humaine. Banale mais pourtant excitante. Entre deux personnes qui n’avaient pour lien concret que leurs souvenirs lointains l’un de l’autre.
“ J’ai la chance de ne jamais avoir eu à offrir mes services physiques, si c’est le sous-entendu posé…”
Il croisa les bras en haussant un sourcil amusé pour appuyer ses propos. La réaction de petite souris traquée de Roman prouvait bien que l’on pouvait chasser le naturel, il revenait parfois au galop ! Il le regarda admirer sa boutique et éprouva encore cette chaleur de fierté du propriétaire, quand son attention fut attirée par la réponse de son ancien camarade.
“ Un élève...Vous êtes professeur?” demanda-t-il, étonné. Il n’aurait jamais imaginé le jeune pouffsouffle devenir professeur! “Pour quelle matière?” Teal se dirigea vers le comptoir, faisant signe de la main à Roman de le suivre. Il contourna les étagères et proposa à son invité de s’asseoir sur l’un des fauteuils présents. Puis, dans un mouvement félin, il enjamba la petite porte au lieu de l’ouvrir et sortit, du tiroir sous la caisse, un livre en cuir sombre. Le livre semblait neuf, bien qu’un peu poussiéreux. Il le posa près de sa tasse de thé désormais froide et trop infusée.
“ … Je manque à tous mes devoirs de commerçants, désirez-vous un thé? “ demanda-t-il en souriant. Sans attendre la réponse, le sorcier alluma à nouveau sa bouilloire de sa baguette, passa prendre deux tasses propres du côté de l’atelier avant de rejoindre Roman dans la boutique d’un saut agile, les tasses dans une main et le livre et une plume de l’autre. Il s’assit face au professeur, posa les tasses et lui présenta le livre.
Dans la main de Teal, il paraissait plus petit et plus léger que ses cinquante centimètres de hauteur. Sur la première de couverture se déliait le nom de l’école en lettres d’or, qui scintillaient comme si la couleur était vivante.
“ Ce livre est mon propre registre des professeurs” expliqua-t-il en souriant. Il l’ouvrit pour présenter un carnet tout ce qu’il y a de plus simple. Des intitulés étaient déjà inscrit en haut de chaque page : Alchimie, Arithmancie, Botanique… Tous les cours de Poudlard avaient une page vierge qui leur était dédiée.
“Il me permet de répertorier les différents professeurs qui viendraient passer commande mais j’ai surtout besoin d’une signature pour confirmer que toute demande vient bien d’un professeur, et non d’un usurpateur.” ajouta Teal en tournant la tête vers la bouilloire sifflante.
Dans les souvenirs de Roman, Teal Mackenzie était… bon, déjà, il était grand, mais c’était certainement dû aux circonstances exactes de leurs seuls échanges à l’école, mais il était aussi un peu distant, malgré ses sourires polis et son extrême serviabilité. Du haut de sa petite taille, il lui avait semblé tellement hors de portée qu’il n’avait jamais vraiment cherché à le connaître… si tant est que sa timidité lui en aurait laissé l’occasion. Tellement classe, aussi, pour le petit Poufsouffle maladroit et écarlate à temps-complet qu’il était à l’époque. Mais l’homme qu’il avait face à lui semblait plus ouvert, plus accessible. Et ça n’était pas du tout dû au fait qu’il ne s’offusquait pas de sa remarque très déplorable sur ce que Teal faisait ou ne faisait pas de son corps et de ses finances. Plutôt que de réitérer des excuses maladroites, il se para de sa plus belle expression désolée. A voir le sourcil vaguement narquois de Teal, il se sentit un peu rassuré et se gratta l’oreille en hochant la tête pour se donner une contenance.
La question de Teal et son étonnement ne l’étonnèrent pas plus que ça. Lui-même aurait ouvert de grands yeux ébahis si on lui avait dit il y a quelques années de cela, qu’il finirait professeur dans un établissement aussi prestigieux que Poudlard. Il eut un petit sourire empli de fierté à cette pensée : tous ses élèves n’étaient peut être pas captivés par sa matière (et il les comprenait, il avait été élève encore assez récemment pour se souvenir que sans atomes crochus avec un sujet, deux heures de cours pouvaient vite devenir une torture…), mais il participait à ouvrir au monde une génération d’enfants, et ça, c’était exceptionnel à ses yeux.
Malheureusement, son sourire fier perdit de son effet quand Teal tourna les talons, lui faisant signe de le suivre. Il obtempéra et lui emboîta le pas, se faisant l’effet d’un poussin, tandis qu’ils traversaient la boutique. Il s’installa sagement dans un beau fauteuil très confortable et répondit à Teal, enfin, à son dos, pendant que son interlocuteur s’affairait.
“Oui, je suis professeur d’Etude des Moldus depuis deux ans, maintenant” lança-t-il en regardant le libraire sortir un livre et une plume, avant de lui demander ce qu’il voulait comme thé… et commencer à le préparer sans attendre sa réponse. Il étouffa un petit rire. “Euh oui, merci. Je ne dis jamais non à un thé!”
Levant un sourcil amusé face aux cascades de Teal qui devait avoir une dent contre la petite porte menant à son comptoir, pour la bouder à ce point, il se redressa quand ce dernier vint s’installer en face de lui et lui montra le livre qu’il était allé chercher.
“Il est très joli… Vous faites de la restauration, n’est-ce pas ? C’est vous qui l’avez fait, celui-là ?” demanda-t-il, à la fois curieux et admiratif, ses doigts se pliant légèrement sous l’envie de l’attraper pour l’examiner de plus près. Pris dans sa contemplation, il releva la tête, penaud. “Oh, excusez moi ! Citron, si vous avez ?” Il fit une petite pause avant de rajouter, l’air impressionné, mais sur le ton de la plaisanterie : “On est très bien accueillis, chez vous ! Ils n’offrent pas le thé, chez Fleury&Botts”
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“Étude des moldus… C’est une sacrée responsabilité.””
Teal poussa le livre entrouvert devant Roman, la plume posée en son centre, avant de se relever, autant pour aller servir le thé que pour cacher aux yeux de Roman une certaine pudeur concernant son travail.
“Effectivement, l’adage veut que le cordonnier soit le plus mal chaussé mais dans mon cas, ça serait mal venu, je pense!” justifia-t-il en se dirigeant à nouveau vers le comptoir. “Ce livre est aussi un accès direct de demande. Chaque livret est relié à son livret jumeau via un sortilège protéiforme, ce qui me permet d’avoir un accès direct au client… L’e-mail du sorcier, pourrait-on dire!”
Le libraire se pencha pour éteindre l’eau. Il chercha du regard son carton de thé, bien en évidence à sa place, en équilibre sur deux autres cartons, près de son livre de comptes. Que celui qui n’avait jamais ressenti un besoin intense d’une pause thé en faisant ses rapprochements bancaires lui jette la première pierre. Ou, au moins, lui explique sa technique de sérénité. Il passa finalement la petite porte et sortit du carton une boite entamée de thé au citron. Le souvenir qu’il venait de faire des courses plus tôt dans la journée lui revint, il passa le bras par la porte de l’atelier, cherchant le sachet de courses à l’aveuglette, avant de récupérer la bouilloire et de retourner près de Roman.
“Je n’offre du thé qu’aux personnes que j’aimerais faire rester plus longtemps… Alors, comment se passe la vie à l’école, vu de l’autre côté?”
Teal sourit à Roman en l’écoutant décrire la vie à l’école, avec encore cette chaleur au creux de la poitrine. Il ne savait pas trop comment il pouvait lui expliquer pourquoi il voulait qu’il reste un peu plus. Ou s’il devait lui expliquer son intérêt tout court, pour être honnête. Mis à part le fait qu’il était professeur, évidemment. Son livre des commandes était autant un objet professionnel qu’un recueil d’autographes. Faire l’histoire de Poudlard, une signature à la fois.
“Jouons la quitte ou double.” pensa-t-il en commençant à couper quelques tranches d’un citron perdu dans son sachet. Il en présenta une à son invité, ainsi que quelques shortbreads.
“Si vous pouviez écrire votre nom sur votre catégorie, mais également sur le répertoire à la fin du livre?” rappela Teal en pointant le livre du doigt.
Le répertoire contenait le nom de tous ses clients. Y compris la toute première cliente qu’il ait eu : sa mère, Daphne Nightingale.
Une sacrée responsabilité… En un sens, Teal n’avait pas tort. Même si le sentiment anti-moldu de l’époque de la deuxième Guerre n’était plus aussi proéminent, il n’en restait pas moins qu’une bonne partie de ses élèves d’origine sorcière n’avaient qu’une vague idée au mieux, de bons vieux préjugés au pire, sur ce qu’il se passait pas si loin d’eux, dans le monde moldu. Des efforts avaient été faits depuis des années, comme rendre sa matière obligatoire à Poudlard, mais il restait encore beaucoup de chemin à faire... Roman lui-même savait qu’il n’était pas objectif sur la question, alors l’entendre de la bouche de quelqu’un d’autre lui remontait un peu le moral. Surtout quand il voyait l’air vide et inintéressé de quelques irréductibles… encore que parmi ceux-là, il y avait une partie non négligeable de nés-moldus ou de sang-mêlés. Il en revenait toujours là : c’était une sacrée responsabilité d’enseigner n’importe quelle matière à des adolescents. Ils représentaient l’avenir, mais pour la plupart, ils n’avaient guère conscience de l’importance du savoir qu’ils engrangeaient (et c’était bien normal). Roman hocha donc la tête avec un petit soupir en réponse aux paroles de Teal. Autant épargner à son interlocuteur un de ces monologues auxquels ses amis avaient droit régulièrement.
Il prit délicatement le livre que Teal lui tendait et l’examina sous toutes les coutures pendant que l’autre homme allait servir le thé. Ses yeux se mirent à briller d’intérêt face à ses explications. C’était tout à fait…
“Génial ! Ça doit vraiment être très pratique… surtout pour fidéliser le client ! Vous faites des cartes de fidélité, aussi ?” demanda-t-il, ne plaisantant qu’à moitié.
Roman se redressa un peu sur son siège au retour de Teal, manipulant toujours le carnet avec des gestes précautionneux, un peu comme il manipulerait son violon. Vu qu’il s’agissait d’une création artisanale, dans laquelle Teal avait également mis de la magie, c’était forcément pour l'autre homme un objet précieux, et il respectait ça.
“Vous voulez connaître l’envers du décor de Poudlard, c’est ça ?” Il sourit, un sourire affectueux envers cette école qui lui avait permis, enfant de découvrir cette partie de lui qu’il chérissait autant que la musique, et qui maintenant encore, l’accueillait en son sein, alors même qu’il se cherchait encore. “Et bien… c’est moins excitant que ce que j’avais imaginé à l’époque. La Bibliothèque doit malgré tout être fermée de nuit, les escaliers ne respectent pas plus les profs que les élèves et les tableaux… Certains me grondent encore sur ma tenue vestimentaire, comme si j’étais encore un Première année !”
Roman eut un petit rire amusé, avant de reprendre un air plus sérieux.
“Mais je sais que c’est une chance inimaginable que j’ai d’être là… Je n’y croyais pas trop lorsque ma lettre de candidature a eu une réponse !”
Il avait passé cinq minutes à courir partout comme un poulet sans tête, sous le regard plein de jugement du hibou de l’école, qui attendait une réponse. Le temps d’une réponse, qu’il espérait que la directrice avait jetée tant elle devait être remplie de politesses et de remerciements enthousiastes qui le feraient rougir aujourd’hui, et il faisait subir à son entourage un peu le même traitement. Dommage que sa mère n’ait pas montré le même enthousiasme…
Baissant le regard vers le carnet, autant pour dissimuler la fêlure que la réaction maternelle avait générée chez lui que pour suivre les instructions de Teal, qui lui demandait de renseigner son nom, Roman tourna machinalement les pages jusqu’à trouver celle consacrée à l’Etude des Moldus. Il y fit son plus beau hiéroglyphe avec la plume fournie, puis alla jusqu’à la fin du carnet, cherchant le répertoire.
N… N… Ah, voilà, il y était ! Ses yeux s’arrêtèrent sur le nom si familier qui y figurait, et il resta une seconde interdit, se demandant comme est-ce qu’il pouvait déjà être sur le carnet alors qu’il n’avait jamais été client de la boutique… Puis il réalisa qu’il ne s’agissait pas de son prénom. Posant la plume sur le papier d’un geste un peu maladroit, il écrivit son nom à la suite, en se mordillant la lèvre. C’était tout à fait indiscret de poser une question sur un autre client, il le savait, mais… Une Nightingale. Sa mère ne lui avait jamais parlé de sa famille, mais si cette Daphné était une sorcière, ce qui était fort probable, elle devait forcément en faire partie ! Il avait si longtemps voulu savoir, sans jamais oser formuler ce souhait, que maintenant qu’il se retrouvait devant une opportunité, il ne savait plus quoi faire…
“Cette… cette Daphné Nightingale… Est-ce que… vous la connaissez bien?” bredouilla-t-il sans relever les yeux. Il voulait expliquer les raisons de son intérêt, mais s’il ne s’agissait que d’une cliente d’une fois, Roman se voyait mal épiloguer sur le sujet… et risquer d’être déçu.
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L’idée de la carte fidélité fit rire le commerçant. Son fils avait développé tout un système du même genre concernant les quota de câlins et la gestion des corvées. Il lui proposerait d’appliquer son système sur la clientèle, tiens! Au bout de cinq livres achetés, un câlin de l’enfant le plus ronchon et adorable du monde. Qui dirait non?
“J’envisage, pour être honnête! ”
Tout en écoutant parler le professeur, il agita nonchalamment sa baguette vers le livre que tenait Roman. Un livre identique au livre original apparu devant lui. Il le vérifia, riant en écoutant Roman lui décrire la vie à l’école.
Être de retour ne donnait pas vraiment l’impression de lui plaire et pourtant, une joie presque enfantine rayonnait dans le timbre de voix du jeune professeur. Teal le comprenait, il l’enviait même. Poudlard était définitivement un endroit magique et le fait de pouvoir retourner y vivre -et sans le souci des chaussettes sales de ses voisins de chambre! - … Une petite pointe de jalousie lui fit très légèrement froncer les sourcils. Il l’effaça d’un sourire à son interlocuteur, tout en continuant son travail sur le second livre.
Il était entrain d’enlever les chapitres inutiles quand, soudain, l’ancien pouffsouffle posa LA question. Teal releva les yeux vers lui et l’observa.
Roman Nightingale était un homme facile à lire. Pas que cela soit une mauvaise chose, bien au contraire. Roman avait cette faculté de communiquer avec le reste du monde par son langage corporel plus qu’avec ses mots, comme la plupart des personnes introverties que Teal connaissait, y compris lui-même. Et ce qu’il lisait de Roman était de l’appréhension et de l’excitation contrôlée.
C’est avec un sourire doux mais mélancolique que Teal accueillit la question de Roman. Il avait littéralement tout fait pour arriver à ce moment. Mais maintenant, la seule envie qu’il avait, c’était de fuir. Comme d’habitude.
Il toussota, plus pour se donner de la contenance qu’autre chose, posa le livre près du premier et se servit du thé pour gagner un peu de temps. Il ne fuira pas. Pas cette fois. Même les histoires de famille avant un nombre d’années limite avant exposition et avec un record personnel de quinze ans, Teal pouvait se permettre de lancer le pavé dans la mare. Ce n’est même pas pour les conséquences qui en découleraient. Ils n’étaient pas jumeaux perdus - fait relativement visible au premier abord -, ils n’étaient que...cousins. Et même pas germains.
“ Plutôt oui...”
Teal leva les yeux vers Roman. Un court silence passa.
“Il s’agit de ma première cliente. Elle est aussi ma mère, comme tout nouveau commerce qui se doit!”
Le commerçant rit doucement à sa propre réflexion, usant de cette plaisanterie pour réduire un peu la pression. La balle était dans le camp de Roman : soit il voulait en savoir plus, soit il jouait la carte de la surprise.
Roman passait distraitement un doigt sur la tranche du carnet, notant sans le vouloir vraiment les aspérités qui parlaient d’un travail manuel soigné, chaque petit défaut qui n’en était pas un racontait le temps passé dessus… Des fois, son soin du détail se laissait entraîner par son sens de l’observation et ils partaient tous les deux se perdre dans des remarques inutiles… Clignant des yeux, il s’extirpa de sa tendance à personifier les moindres détails de sa personnalité, probablement pour se trouver des excuses dans ce genre de situations un peu gênantes. Ou stressantes. Ou tendues, comme lui qui attendait une réponse sur ce nom inconnu et pourtant ô combien familier… Il essaya de se mettre en tête qu’il ne fallait pas qu’il s’attende à grand chose. Mais quelque part, l’hésitation de Teal, le temps qu’il prenait visiblement pour répondre, rien de tout cela ne l’aidait à ne pas se faire de faux espoirs…
Lorsque la réponse vint, et bien… Roman ouvrit de grands yeux interloqués. Il s’était attendu à des détails sur cette Daphné, mais pas du tout à ce qu’il s’agisse de la mère de Teal. C’était plutôt des choses qu’il lisait dans les livres, ça n’arrivait pas dans la vraie vie ! Il avait passé son adolescence à espérer rencontrer un ou une Nightingale pour découvrir cette famille dont il ignorait tout… en vain. Et voilà qu’il se découvrait un parent potentiel, et qu’il s’agissait de ce Serdaigle qui avait longuement rôdé autour de lui à Poudlard. Une seule explication possible...
“Oh ! C’est pour ça que vous… et bien...” Il bredouilla, se voyant mal le traiter de stalker, même si c’était comme ça que le surnommaient ses amis, pendant sa scolarité. Surtout lorsque Teal était allé demander à Selwyn le prénom de la mère de Roman… ce qui expliquait pas mal de choses, d’ailleurs. Sur le coup, il avait été gêné, mais il aurait certainement fait la même chose s’il avait été au courant du nom de jeune fille de la mère de Teal.
“Bref…” toussota Roman en laissant de côté ce qu’il allait dire pour se concentrer sur l’essentiel. “Donc, votre père est un Mackenzie ?”
Il rougit à sa propre question un peu idiote et porta sa tasse de thé à ses lèvres pour prendre une seconde de répit. Pourquoi est-ce qu’il demandait ça, alors que ce qu’il voulait surtout demander c’était vous pensez qu’on est de la même famille ? Quel lien de parenté on a ? Votre mère vous a déjà parlé de la mienne ? Vous avez rencontré des Nightingale ? Comment elle est, votre maman ? Et au lieu de ça, il posait une question sur… le père de Teal. C’était lui tout craché, ça… Il étouffa un petit soupir un poil désespéré et envisagea la noyade dans le thé. Au moins, ce serait une belle mort !
Code by Joy
Dernière édition par Roman Nightingale le Ven 4 Déc - 15:14, édité 1 fois
La réaction du professeur ne se fit pas attendre, et Teal en aurait presque éclaté de rire.
“C’est pour ça que j’avais l’air de vous prendre en filature à l’époque?” traduisit-il des bafouillis de Roman. Il aurait été difficile de le comprendre autrement que comme cela, en étant objectif! Il secoua la tête, amusé et un peu gêné. “Je ne chercherai même pas à le nier..” commença-t-il avant de relever la tête à la dernière question de son interlocuteur.
“Eh bien...non.” Il leva les yeux au ciel avec un sourire, habitué de ce sentiment blasé ressenti après qu’on lui pose cette question spécifique. “Mackenzie est le nom de famille de ma mère.”
L’envie de jouer avec Roman, comme un chat jouant avec une petite souris, lui fit plisser les yeux de plaisir mais il se reprit bien vite. Ce n’était désormais plus une occasion où jouer avec l’ancien Pouffsouffle devait être amusant. Il arrivait à lire l’anxiété et l’attente devant les promesses que lui présentait Teal et il était pour lui désormais de tomber définitivement le voile.
Il sortit un téléphone portable de la poche arrière de son pantalon, cherchant parmi les dossiers de la galerie un moment. Il n’était pas particulièrement enclin à apparaître sur des photos mais avoir sa famille à portée de main avait fini par devenir une habitude depuis son premier séjour en Égypte. Encore une et voilà.Teal releva la tête vers Roman en souriant et lui présenta la photo.
C’était une photo qui avait été prise par son mentor, Adam Ashcroft, au British Museum un mois auparavant. On pouvait y voir Teal souriant, accroupi au centre et serrant contre lui un petit garçon brun à la peau brune, qui arborait un air boudeur et contenté sur ses lèvres. Autour d’eux, deux femmes magnifiques, une rousse et une blonde, formaient une arche en riant. C’était une photo joyeuse, étrangement en harmonie avec le côté austère du bâtiment du British Museum.
Le libraire pointa du doigt les deux femmes, un soupçon de taquinerie dans la voix.
“Voici ma mère, Selene Mackenzie.” indiqua-t-il en désignant la blonde.
La ressemblance était évidente, les même yeux fins et clairs, la même peau pâle, et un sourire, doux et timide, qui pointait au milieu des tâches de rousseur. Il laissa à Roman le temps de contempler la femme plus en détail avant d’enchaîner.
“Et voici ma mère, Daphné Nightingale.”
Il releva les yeux, cherchant à lire son compagnon face à un ce nouveau visage, avenant et volontaire, encadré de cheveux roux, portant un nom si familier. Il resta silencieux, lorsque ses yeux croisèrent enfin ceux de Roman, puis finit par prononcer enfin ces mots qu’il retenait depuis si longtemps, d’une voix un peu serrée.
“Ma mère Daphné a peu de cousins, mais elle m’a dit avoir une cousine, un peu plus âgée, qui s’est éloignée de la famille. Son nom est Magdalena.”
Il toussota, cherchant à reprendre le contrôle de sa voix et, sur une note plus légère, caressa doucement la photo avec un sourire.
“ Et vous ne vous posez certainement pas la question mais au centre, il s’agit de mon fils. Vous devriez vous imprégner de son visage, il montre déjà des signes de magie. Et une certaine volonté d’indépendance!”
Son rire se perdit dans l’écho de la librairie, comme un tintement pour ramener Roman sur pied.
Teal comprit facilement (un peu trop d’ailleurs) ce qu’il y avait derrière les bafouillages de Roman, à son grand embarras. Sans ressortir le nez de sa tasse, histoire d’avoir l’excuse de la chaleur de la boisson en cas de nouvelle crise de rougissements intempestifs, Roman hocha la tête, vaguement penaud. Heureusement, Teal n’avait pas semblé prendre mal ses sous-entendus… et puis, à dire vrai, pour autant que Roman préfère la politesse et évite le conflit, il n’y avait aucun mensonge dans le fait que son interlocuteur avait eu, du temps de Poudlard, un comportement plutôt louche. Lorsque Teal admit même la vérité, Roman dut se retenir de tendre un doigt vers lui avec un “ha!” retentissant… content, pour une fois, de ne pas s’être fait des idées comme cela lui arrivait régulièrement.
Le sourire de Teal, lorsqu’il le corrigea sur le nom de sa mère lui fit froncer les sourcils alors même que sa réponse lui donnait envie de les lever pour marquer son incompréhension. Cela lui donna un air de chouette un peu perplexe, qu’il accentua en penchant la tête sur le côté, demandant muettement des explications… sur l’histoire du nom, bien sûr, pas sur le sourire un peu trop blasé pour être vraiment sincère dont il s’était vu gratifié. Se penchant en avant lorsque Teal lui présenta son téléphone, il en comprit rapidement les raisons en détaillant les visages souriants des deux femmes, et se sentit une nouvelle fois penaud. Objectivement, il ne pouvait pas deviner la configuration familiale de Teal mais tout de même, cela devait être fatiguant, au bout d’un moment, de toujours corriger les présomptions des gens qui, et il en était lui-même coupable, ne parvenaient pas à imaginer un modèle familial ne rentrant pas dans cette “norme” qui ne devrait pourtant pas exister… Ce n’était même pas comme si lui n’avait pas souffert, dans son enfance, de devoir expliquer encore et encore qu’il n’avait pas de papa !
Il ouvrit la bouche pour s’excuser, réalisa que ces excuses étaient certainement aussi éculées que les questions ignorantes auxquelles Teal avait à répondre, envisagea d’embrayer en soulignant sa ressemblance avec Mme Mackenzie mère, mais s’abstint… parce qu’une fois encore, il devait avoir entendu ces mots des centaines de fois, tellement ils étaient vrais. Il contempla donc la photo en silence pendant quelques secondes, son regard instinctivement attiré par la femme aux cheveux roux, qui portait le nom de sa mère… et qui lui ressemblait un peu, à dire vrai, à l’exception de cette rousseur flamboyante. Teal semblait avoir mené l’enquête parfaitement… il n’avait juste pas voulu (ou osé) la mener à son terme, et Roman ne lui en voulait pas.
“Daphné...” murmura-t-il pour lui-même, avant de continuer plus haut, relevant brièvement les yeux pour croiser le regard de Teal “Ma mère ne m’a jamais parlé de sa famille, donc je ne peux pas dire que j’ai entendu parler d’elle, mais… Il y a définitivement un air de famille” Même si Daphné Nightingale semblait avoir un caractère plus marqué que sa propre mère... Une seconde d’hésitation, puis le rire de Teal accomplit son oeuvre et Roman se détendit un peu. Il s’éclaircit la gorge et lança, d’un ton volontairement léger “Et bien ! En me levant, ce matin, je ne m’étais pas attendu à me découvrir un cousin ! Ou même deux… ou trois, d’ailleurs ! Votre fils est… j’allais dire adorable, mais vous m’inquiétez, maintenant ! Comment s’appelle-t-il ?”
Il lança à son tout nouveau cousin un sourire un peu timide, mais qui gagna en chaleur entre le moment où il effleura le coin de ses lèvres et celui où il s’installa confortablement sur son visage toute entier. De la famille… C’était Noël avant l’heure, pour lui ! Il fallait juste qu’il se surveille pour ne pas avoir l’air trop enthousiaste. Ou trop bizarre, même si Teal avait l’air de s’en amuser plus qu’autre chose. C’était toujours rassurant.
Teal plissa doucement les yeux avec un sourire tendre. Roman ne semblait pas tellement à l’aise avec cette révélation mais il semblait être néanmoins heureux de se découvrir de la famille. Teal ne lui jetait pas la pierre, bien au contraire. Une sensation d’euphorie le traversait de la tête au pied malheureusement, la génétique ne l’avait pas particulièrement rendu célèbre pour sa façon physique d’exprimer ses émotions. Mais lire le reflet de ses émotions dans les yeux de son cousin était important pour lui. C’est pourtant avec une tendresse plus évidente qu’il indiqua à Roman le nom de son fils.
“Il s’appelle Leander. Mais il ne rentrera pas à Poudlard avant un ou deux ans, ne vo.. t’inquiéte pas?”
Teal venait d’avouer à Roman qu’il était de la même famille, il était clairement temps qu’ils abandonnent le vouvoiement.
“Pour être complètement honnête, tu es également le premier cousin que je rencontre.” ajouta-t-il en faisant tourner son fond de thé dans sa tasse. “Sache que je ne cherche pas à t’imposer quoi que ce soit. Même pas un contact plus actif que ce qu’il ne l’était auparavant. Mais je veux que tu saches que si, au contraire, tu souhaites avoir… de la famille avec qui parler… Je suis là. Note que je ne te conseille pas de prendre contact avec ma mère, je t’apprécie suffisamment pour cela”
C’est avec un regard entendu qu’il finit sa phrase. Combien de temps avait-il attendu pour dire ces mots, déjà? Cela lui semblait si simple, maintenant. Presque trop mondain. Mais la proposition était désormais entre les mains du professeur. Il chercha sa plume du regard, et attendant la réponse de son compagnon, lui démontra comment fonctionnait le cahier. Il ouvrit le livre qui appartiendrait désormais à Roman à la première page et le plaça en évidence. Il prit ensuite son propre volume sur ses genoux, et inscrivit d’une calligraphie soigneuse Remise automatique professeur : 15% . Le texte se reporta automatique sur le livre du brun et, lorsque que Teal le referma pour lui montrer la première de couverture, les lettres d’or scintillaient, avec un très léger mais néanmoins audible bruit de scintillement s’en dégageant.
“Voilà, tu peux l’emmener, l’offre couvre les frais de création, tant que le client adhère.”indiqua-t-il en riant.
Si quelqu’un passait devant la boutique et regardait à l’intérieur à cet instant précis, Roman était sûr que le curieux s’amuserait de voir deux hommes, l’un brun et l’autre blond, l’un grand et l’autre pas (trop), à se regarder en chiens de faïence autour d’un thé et à se sourire de façon un peu maladroite, comme deux inconnus... qui se seraient découverts un lien de parenté. Ce qui était exactement le cas, quand on y réfléchissait, mais Roman ne voyait pas trop comment décrire autrement l’atmosphère à la fois légère et un peu embarrassée qui régnait. Mais ça ne le gênait pas outre mesure, d’autant que Teal semblait partager son contentement gêné.
Il regarda de nouveau la photo sur laquelle le fils de Teal semblait lui aussi hésiter entre un sourire et une bouderie. Ces émotions contradictoires affichées sur le visage semblaient visiblement être de famille. Roman hocha simplement la tête lorsque Teal proposa le tutoiement. C’était tout naturel, même s’il savait déjà que ça allait demander un effort de sa part. Se retenant de prévenir Teal qu’il allait certainement bafouiller maladroitement au moment du pronom pendant un petit moment, il se concentra sur le petit Leander et sourit.
“Et bien ça me laisse un peu de temps pour me préparer mentalement! J’ai déjà quelques élèves tenaces, je les apprécie, ils me permettent de ne pas m’endormir pendant mes propres cours ” plaisanta-t-il.
En réalité, il avait déjà hâte. Ce n’étaient pas les élèves avec un fort caractère (comme semblait l’avoir son petit-petit cousin) qui lui posaient souci, mais plutôt ceux qui se fichaient royalement de son cours. Au moins avec les têtus, il y avait du débat.
Roman laissa échapper un petit rire à la remarque sur la mère de Teal, pour dissimuler une nouvelle fois ce que l’offre de son cousin de juste… parler, être en contact, faisait naître chez lui. Dans sa tête, il battait des ailes comme une poule cherchant à décoller. Extérieurement, il finit son thé à présent tiède et hocha la tête.
“Merci, ça me plairait beaucoup… de rester en contact avec toi, je veux dire… ” souffla-t-il en baissant un peu le nez, profitant de la distraction que lui offrait le carnet enchanté. Il se gratta l’arrête du nez, là où ses lunettes venaient peser. Il serra son carnet de fidélité contre lui et se leva de son fauteuil, visiblement à regret. “Il va falloir que j’y aille, par contre, je suis de surveillance, ce soir. Mais je… je serais ravi de repasser pour rencontrer vo… ton fils à l’occasion.”
Il rangea son carnet dans son sac lentement, et remit son manteau. Ni lui ni Teal ne parlèrent beaucoup plus, comme pour ne pas gâcher leurs “retrouvailles” par un au-revoir. Une fois prêt, Roman hésita une seconde avant de lancer à Teal un sourire chaleureux en guise de salut. Sans briser ce silence agréable, il poussa la porte, lui fit un petit signe de tête et sortit de l’Atelier.
Il se réjouissait déjà de leur prochaine rencontre. Cette fois-là, se promit-il avec détermination, il ne sous-entendrait pas que Teal vendait son corps ! D’ailleurs, ça lui faisait penser qu’il avait une couette sous laquelle se rouler en pleurant de honte qui l’attendait à Poudlard.
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