Une impulsion. Un coup de folie comme elle en avait rarement, pour ne pas dire jamais. Pourtant lorsqu’elle avait ouvert les yeux ce matin là, Olivia Harper s’était souvenu que c’était le jour de son anniversaire. 28 ans, déjà. Fêter son anniversaire avait toujours été un réel plaisir pour elle, n’étant pas de ces femmes qui gémissaient qu’elles se sentaient déjà vieilles. Mais, et il fallait bien l’avouer, c’était presque douloureux de se rendre compte que les jours et les semaines se ressemblaient tellement, insidieuse routine, qu’elle avait fini par perdre le fil et avait presque oublié son propre anniversaire. Et le fait était là. Un beau samedi, elle se retrouvait là, dans ses appartements à Poudlard, sans savoir que faire de cette journée, sans avoir de réel projet. Cette situation faisait toujours naître chez elle un sentiment désagréable ; elle détestait devoir improviser. Surtout que... mine de rien, elle n’avait pas grand monde avec qui fêter ça. Elle s’entendait bien avec ses collègues, pour la plupart d’entre eux, mais n’avait guère pu tisser d’affinités très poussées avec eux.
Enfin si... Il y avait bien... Adrian.

Ils avaient le même âge, et étaient arrivés presque en même temps à Poudlard. Autant dire qu’ils avaient rapidement sympathisé, allant de fil en aiguille jusqu’à se taquiner mutuellement. Ils étaient devenus plutôt proches, bien que parfois leur relation lui semblât indescriptible. Bref. Toujours était-il qu’il était sûrement son seul ami proche au château, et à vrai dire, la seule personne du château avec qui elle avait envie de passer cette journée. Mais surtout, loin des yeux et des oreilles des élèves/commères de Poudlard, savait-on jamais. C’était donc pourquoi elle s’était plantée devant Adrian, habillée de pied en cap, ce samedi matin-là, pour lui annoncer qu’elle l’embarquait avec elle pour une virée un peu spéciale.  

Marchant d’un pas rapide dans les rues moldues d’une petite ville qu’elle connaissait bien, Olivia tentait donc désespérément de retrouver son chemin vers un bar - elle avait à peine pris le temps d’en repérer un, juste histoire de donner un sens à leur escapade. Évidemment, vu son sens de l’orientation, elle les faisait tourner en rond, et pestait mentalement contre elle-même. La voix de son ami finit par la tirer momentanément de ses pensées, et elle se retourna, sourire aux lèvres. -Arrête un peu de te plaindre, on y est presque, promis ! Répondit-elle, amusée par la jérémiade. -Et bien sûr que je sais où je vais, quelle question ! Acheva -t- elle, prête à reprendre leur route. Le pauvre, heureusement qu’il ne se doutait pas qu’elle était presque aussi perdue que lui. Un instant plus tard seulement, il bouscula un passant, et se rattrapa maladroitement à son épaule. Cela la força à s’arrêter, assez longtemps cependant pour qu’elle puisse prendre quelques repères, et enfin s’y retrouver dans ce labyrinthe.

-Il fait beau aujourd’hui, hein ? La déclaration la laissa circonspecte, et elle lui lança un regard un peu perdu. Ils étaient assez proches pour ne pas parler de météo, non ? Elle s’apprêtait à lui répondre avec son sarcasme et sa verve habituelle, quand elle remarqua son air dérouté. Cela la convainquit de ravaler la raillerie qui lui brûlait les lèvres - elle se voyait déjà lui rétorquer qu’en même temps, c’était toujours mieux d’avoir du beau temps quand l’été approchait, même en Ecosse. -Oui, encore heureux ! On va pouvoir rester en terrasse ! Viens, c’est par là ! Et comme pour rajouter de la gêne à la situation, elle s’empara de sa main pour le tirer vers le bar qu’elle venait de reconnaître.

Olivia ne prit conscience de la mesure de son geste que trop tard, alors qu’elle ressentait un curieux fourmillement suite à ce contact peu familier, mais pas désagréable pour autant. De gêne, elle aurait pu s’écarter, mais elle n’en fit rien. Ils finirent par arriver dans le bar qu’elle avait repéré, et la jeune femme soupira de soulagement. Elle retrouvait avec joie l’ambiance chaleureuse et légèrement survoltée des bars qu’elle avait pu fréquenté dans le monde Moldu et elle s’y sentait comme un poisson dans l’eau. Hélant un serveur au loin, elle demanda une table pour deux et ils y furent conduits, s’éloignant quelque peu du noyau de l’agitation.

En s’asseyant, la brune capta le regard que son ami posait sur les clients du bar, tout comme sur les objets technologiques. Elle ne put retenir un petit rire amusé. Les réactions des sorciers restés totalement hermétiques à la technologie moldue la fascinaient toujours autant, tant ils s’étonnaient sur ce qui était parfaitement normal pour elle. «Chic bar, t’es douée dis donc.» Le compliment lui arracha un sourire ravi. Au moins il aimait l’endroit et cela la rassurait. Ce n’était pas évident, sachant qu’elle l’avait sûrement arraché tranquille ou château. Ou peut-être à une journée de travail encore trop remplie ? Oh passons, puisqu’il était finalement venu. - Tu aimes ? Enchaîna -t- elle, bien que c’était ce qu’il venait de sous-entendre. -Je connais un peu le coin, mon frère y a habité un moment, et comme je venais souvent le voir, il m’a fait pas mal visité... Enfin bref, je ne vais pas que parler de moi non plus. Eluda -t- elle brusquement, son sourire devenant un peu étrange et ses gestes saccadés. Pourquoi est-ce qu’elle se sentait aussi empotée et nerveuse, tout d’un coup ? Cela ne lui ressemblait aucunement, d’autant qu’elle connaissait Adrian ! Ils étaient proches et c’était loin d’être la première fois qu’ils se retrouvaient tous les deux... Bon certes, pas dans un tel contexte, mais quand même.

Son ami la tira de son embarras en lui soufflant qu’il n’avait pas de monnaie moldue. Cette soudaine proximité et le chatouillis de son souffle contre son oreille la firent rougir, mais son air un peu penaud lui permit de retrouver contenance. Elle lui adressa un clin d’oeil un peu moqueur. -T’inquiète, c’est moi qui invite ! Elle lui devait bien ça après tout. Sans sa présence, elle aurait été bonne pour traîner au château... En attendant que le serveur revienne, elle s’étira paresseusement, s’enivrant de l’ambiance agitée de ce petit bar. Pour le coup, le silence qui reprenait peu à peu ses droits entre eux n’était pas gênant. Du moins pas pour elle. Elle finit toutefois par relancer la conversation. -Alors, tu as prévu quoi pour les congés d’été ?

Si elle avait déstabilisé Adrian, avec sa question qui avait pourtant tout d’innocent, sa réponse la prit tout autant au dépourvu. En fait, elle n’avait pas grand chose de prévu, elle non plus. Une visite aux parents histoire de, une semaine chez son frère, puis elle avait prévu de goûter à la solitude la plus profonde et la plus parfaite pour continuer ses recherches de petite potionniste. Elle avait dû mettre tous ses projets en stase, et rien ne la mettait plus en rage. Raison donc pour laquelle elle resta silencieuse une poignée de secondes avant de répondre. -Ben euh... Pourquoi pas ? J’ai pas grand chose de prévu non plus en fait. Répondit-elle, se sentant bien bête sur le coup. Quoi, c’était une proposition déguisée ? C’était quoi la bonne réponse du coup ? Si Adrian s’engueulait mentalement, Olivia paniquait toute seule dans son coin, comme si la moindre phrase sortant de sa bouche allait être décisive pour tout le reste de sa vie. Ce fut donc avec un certain soulagement qu’elle accueillit sa proposition d’aller chercher les boissons.
Et bien mal lui en prit, mais elle ne le savait pas encore...
*Un coup dans le nez plus tard*
Une partie d’elle la maudissait, oh ! Au moins sur 7 générations, pour avoir accepté le troisième verre. C’était cette même part encore lucide qui assistait, impuissante, au flot de parole qu’elle laissait échapper quand elle se hasardait à ouvrir la bouche. Les trois verres, en plus de sa nervosité grandissante de se retrouver en tête à tête avec le jeune homme, avaient fait céder toute retenue, et elle s’était entendue dire n’importe quoi. Si seulement il n’y avait que les mots... Non, parce qu’il avait fallu qu’elle laisse échapper le rot le plus magistral qu’on lui ait connu. Avant de glousser légèrement. Pathétique. Elle trouvait ça très drôle quand elle avait 6 ans, mais maintenant ?

Eh bien maintenant, elle avait fait fuir son cher Adrian, parti se réfugier au comptoir, la laissant seule et paniquée à leur table, après qu’elle l’ait chassé de son épaule d’un -Eh, t’es lourd ! grognon. Est-ce que c’était de sa faute ? Elle s’était montrée trop entreprenante, trop détendue ? C’est sûr, elle devait passer pour une vieille fille sale et sans gêne maintenant... Elle se tenait prostrée sur la table, les mains profondément enfouies dans sa chevelure, qui ne devait plus ressembler à grand chose. La voix de son ami lui parvenait en continu - ce n’était pas comme si il était juste à dix mètres...- mais elle n’y prenait garde qu’une fois sur quatre... Pourquoi il parlait de bisou d’ailleurs ?

Il finit par revenir, enfin ! Le même sourire ahuri aux lèvres, elle se tassa sur le côté pour le laisser s’asseoir à côté d’elle, avant d’éclater de rire à sa remarque. Une vraie gamine. -Greuh ! Et il sait dire quoi d’autre, Jova ?

Olivia ne quittait pas son ami des yeux, comme fascinée par ce qu’il pouvait bien lui raconter. C’était pas comme si elle n’accrochait qu’un mot sur deux hein... Elle le regarda pensivement se passer la main dans ses boucles sombres, et elle eut soudain l’envie aussi stupide qu’inexpliquée de l’imiter. Peut-être que c’était tout doux, comme le poil de Jova ? Oh Merlin, elle racontait vraiment n’importe quoi. Comme si le fait d’en prendre conscience allait l’arrêter...
Attends, quoi ? Pourquoi il parlait de câlin d’un coup ? Livie resta là à le fixer curieusement, puis le regarda s’installer confortablement, le nez niché contre son cou. Oh. Un câlin. Ce n’était pas compliqué un câlin, alors pourquoi elle restait figée de la sorte, ses deux yeux ronds comme des billes posés sur le concierge ? Il lui offrait un spectacle aussi attendrissant que surprenant, et elle était bien incapable de décider quoi faire, encore plus lorsqu’il acheva le tout d’un baiser sur la joue. C’était prémédité, ça ? La douce sensation de ses lèvres contre sa joue lui laissa une vague sensation étrange à l’endroit où il l’avait touché, et la surprise aurait été assez grande pour lui rendre sa lucidité. Ah, si seulement.

« Mais j’suis pas un ours, donc je suis pas assez mignon pour attirer ton attention. » 
Eh bouse. Elle l’avait vexé. Jusqu’alors à moitié avachie, Olivia se redressa d’un air catastrophé. Mais... Mais elle avait jamais dit qu’elle ne s’intéressait pas à lui ?  « J’ai pas assez de poils pour te plaire. » 
Qu’est-ce que c’était que cette histoire encore ? Et pourquoi il montrait son tor... se ? La professeure dut se retenir pour ne pas perdre toute dignité. Quoi ? Elle était loin d’être une groupie, mais bon, il fallait bien dire que son ami était loin d’être mal foutu. A mille lieux d’imaginer les pensées un peu plus sombres qui pouvaient lui traverser l’esprit sur sa meilleure amie disparue, Olivia attendit avec impatience qu’il lui fasse un signe pour lui montrer qu’il ne boudait pas entièrement. Elle finit par lancer, d’une voix mal assurée. -Mais... Mais je m’en fous que tu n’aies pas de poil, c’est pas classe les poils, ça tombe toujours dans les potions et ça fait tout foirer ! Ah oui, ramener la discussion au boulot... C’était vraiment une bonne idée ? -Mais moi je veux bien te faire un câlin alors !

-Haha, même sans charlotte tu es le bienvenue dans mon Cachot ! Lança -t- elle en ricanant, sans réfléchir à la teneur que pouvait prendre sa phrase. Enfin si, mais trop tard. Bof, la gêne occasionnée fut rapidement éclipsée au profit de l’image hilarante d’un Adrian affublé d’une charlotte. Et torse nu. Pourquoi torse nu ? Bon tant pis, c’était plaisant aussi. Mais elle n’eut pas tout le loisir de contempler cette image mentale.

Parce qu’Adrian venait de la soulever dans ses bras. Elle avait tellement du mal à suivre le déroulé des événements qu’elle se demanda un instant ce qu’elle faisait là. Puis la réalité la rattrapa (un peu) et une douce chaleur l’envahit quand elle se rendit compte de la chose. Et avec quelle force et quelle douceur à la fois le Concierge du Château l’avait enlacé avant de l’installer sur ses genoux. Presque automatiquement, ses bras vinrent se nouer autour de son cou, et avec le semblant de tenue qu’il lui restait, elle s’empêcha de poser sa tête sur celle d’Adrian. Mais elle était bien, là, ça oui ! Un grand sourire ne tarda pas à fleurir sur ses lèvres.

Le souffle de son ami au creux de son oreille la fit frémir, accentuant son trouble. Quoi les autres ? Quels autres en fait ? Pourquoi se soucier d’eux quand ils partageaient un moment de rare tendresse ? C’était vrai, cette tendresse n’avait rien à voir avec l’affection habituelle dont elle faisait preuve à son égard. Mais curieusement bienvenue. -Je sais pas trop. Au pire, on s’en fout non ? Conclut-elle, étrangement décomplexée en cet instant.

La dernière phrase prononcée par le jeune homme eut pour effet de la faire s'empourprer définitivement. Le fait qu'il prononce ce genre de phrase tout en resserrant doucement ses bras autour d'elle lui faisait bien comprendre que cela n'avait rien d'une taquinerie. Enfin,peut-être que si ? Elle était un peu perdue. Et bien évidemment, pour quelqu'un d'aussi rationnel qu'Olivia, cela n'avait rien d'être très plaisant, de ne plus comprendre ses propres réactions, son propre ressenti. Mais enfin, qui avait dit qu'il fallait réfléchir ici ? Pourquoi ne pas juste profiter ?
Mais finalement, le charme se rompit quand son regard tomba sur les aiguilles de sa montre. Ses yeux s'écarquillèrent de surprise. -Oh merde ! Regarde l'heure qu'il est ! Lança -t- elle à son compagnon d'un air paniqué. Bon, relativisons : c'était un samedi, il n'était QUE 19h30 et les professeurs n'étaient pas soumis au même couvre feu que les élèves, loin s'en fallait. Alors quoi ? Elle se sentait bizarrement moins à l'aise avec l'idée de se pointer à Poudlard comme ça. Ils étaient loin d'être ronds comme des queue de pelles, ils n'avaient pas TANT bu que ça mais... ça n'allait pas jaser quand même, si ? En tant que prof, elle aurait bien besoin de ça, tiens ! M'enfin, l'exclamation que ce constat lui avait arrachée était surtout due au fait qu'elle ne s'attendait pas à ce que l'heure soit déjà aussi avancée. Comme quoi, elle ne voyait vraiment pas le temps passer en compagnie d'Adrian.

Elle lui adressa un sourire un peu gêné, cette petite reprise de contact avec la réalité avait fait éclater leur petite bulle. -Peut-être qu'on ferait bien de payer et de rentrer tranquillement, qu'est-ce que tu en penses ? Proposa -t- elle, soucieuse de ne pas le froisser, ou de se montrer trop hâtive d'achever cette soirée fort agréable. Elle s'était levée à demi, comme anticipant une réponse positive de sa part. Puis quelques instants plus tard, un vague constat un peu honteux lui traversa l'esprit. -Au fait... Je ne t'ai même pas remercié... Pour m'avoir suivie dans mon plan tordu je veux dire. C'était vraiment chouette, et très agréable de passer l'après midi avec toi. Fit-elle avec un sourire touchant, sincère dans ses paroles. Comme si elle pouvait ne pas l'être avec lui.